mardi 16 mars 2010

Un poème de Philippe Soupault

COMRADE

Petits mois petites fumées
et l’oubli en robe de laine
une porte s’ouvre tendrement
près du mur où naît le vent
près du jardin bienheureux
où les saints et les anges
ont peur des saisons
Les allées n’ont pas de noms
ce sont les heures ou les années
je me promène lentement
vêtu d’un paletot mastic
et coiffé d’un chapeau de paille noire
Je ne me souviens pas
s’il fait beau
je marche en fumant
et je fume en marchant
à pas lents
Quelquefois je me dis
Il est temps de s’arrêter
et je continue à marcher
Je me dis
Il faut prendre l’air
Il faut regarder les nuages
et respirer à pleins poumons
Il faut voir voler les mouches
et faire une promenade de santé
Il ne faut pas tant fumer
je me dis aussi
Calculons
je me dis encore
j’ai mal à la tête
Ma vie est une goutte d’eau sous ma paupière
et je n’ai plus vingt ans
Continuons
Les chansons sont des chansons
et les jours des jours
je n’ai plus aucun respect pour moi
mais je vois des voyous
Qui fument les mêmes cigarettes que moi
et qui sont aussi bêtes que moi
Je suis bien content
sans vraiment savoir pourquoi
Il ne suffit pas de parler du soleil
des étoiles
de la mer et des fleuves
du sang des yeux des mains
Il est nécessaire bien souvent
de parler d’autres choses
On sait qu’il y a de très beaux pays
de très beaux hommes
de non moins charmantes femmes
mais tout cela n’est vraiment pas suffisant
Le vide étourdissant
qui sonne et qui aboie
fait pencher la tête
On regarde et on voit
encore beaucoup d’autres choses
qui sont toujours les mêmes
innombrables
identiques
Et là-bas simplement
quelqu’un passe
simple comme bonjour
et tout recommence encore une fois
je lis dans les astres la bonne volonté de mes amis
dans un fleuve j’aime une main
j’écoute les fleurs chanter
Il y a des adieux des oiseaux
Un cri qui tombe comme un fruit
Mon Dieu mon Dieu
je serai donc toujours le même
la tête dans les mains
et les mains dans la tête.

Aucun commentaire: