mercredi 5 août 2009

Chant royal

Le poète de profil
Le poète à l’équerre de corps et d’ombre sur les seuils
Le poète Gulliver qui retrace un roncier d’hiver avec la pointe de Hopkins
Ou décroît pour accorder l’herbe au zodiaque avec compas de Gongora
Génie des contes perses car il refuse l’indifférence

Il entretient la lymphe bleue dans le réseau des ormes
Veille zêta epsilon delta d’Orion sur la branche basse
Œil triple posé de witch 1 witch 2 witch 3
qui s’envole constellation subtile de corbeaux

Il est ici pour inventer quelque chose d’aussi beau qu’un mot saxifrage inventé par personne
S’il cherche un trésor il le trouve
(Imagine un poisson cherchant un poisson dans l’obscurité des mers…)

Quand il revient parmi nous dans la transparence d’hiver où les choses sont des lignes
Quand il rouvre le filon des couleurs à ciel ouvert
Quant il revient sur l’étroite digue hospitalière et
Victoire fendant le sol figé sachant
Que la vie déserte à quelques mètres de hauteur
Quand il retrouve son totem en boules couleur d’excrément
Dans les petits pommiers français près d’où on range les araires

Et quand poussé aux épaules par
Comme un transféré
Il longe la rivière invitée au moulin
Le coq sa crête de lilas son cri à travers
− l’aveugle
Il se gante de saule
Il endosse la rivière
Et voici tâtonnant
Sa main prolongée
S’avance dans un monde étrange
Il se hâte vers le désert Un plateau où la flèche est gnomon
Le vide est sa force Le soleil passe comme un anneau nuptial
Entre les arbres généreux il appartient à la déception
Émigré que scalpe un âge il travaille pour une absente sous ses pieds qui dort quand il se lève
Pour regagner l’absente de son pays qui veille quand il dort
Le temps est celui qu’il n’a pas de penser à elle
[...]

Michel Deguy, Ouï dire, in Donnant Donnant, Poèmes 1960-1980, Poésie/Gallimard n° 423, 2006, pp. 93 et 94.


http://poezibao.typepad.com/poezibao/2009/08/anthologie-permanente-michel-deguy.html

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