Lady Capulet — Qu'en dites-vous ? Pourrez-vous aimer ce gentilhomme ? Ce soir vous le verrez à note fête ; lisez alors sur le visage du jeune Pâris, et observez toutes les grâces qu'y a tracées la plume de la beauté ; examinez ces traits si bien mariés, et voyez quel charme chacun prête à l'autre ; si quelque chose reste obscur en cette belle page, vous le trouverez éclairci sur la marge de ses yeux. Ce précieux livre d'amour, cet amant jusqu'ici détaché, pour être parfait n'a besoin que d'être relié !... Le poisson brille sous la vague, et c'est la splendeur suprême pour le beau extérieur de receler le beau intérieur ; aux yeux de beaucoup, il n'en est que plus magnifique, le livre qui d'un fermoir d'or étreint la légende d'or ! Ainsi en l'épousant, vous aurez part à tout ce qu'il possède, sans que vous-même soyez en rien diminuée.
La Nourrice — Elle, diminuer ! Elle grossira, bien plutôt. Les femmes s'arrondissent auprès des hommes !
Lady Capulet, à Juliette — Bref, dites-moi si vous répondrez à l'amour de Pâris.
Juliette — Je verrai à l'aimer, s'il suffit de voir pour aimer : mais mon attention à son égard ne dépassera pas la portée que lui donneront vos encouragements.
William Shakespeare Roméo et Juliette
Le traducteur rend bien les mots du "linguiste" Shakespeare, bon traducteur et bon auteur sont en quelque sorte des linguistes avant tout. Du point de vue philo, avez-vous noté le "s'il suffit de voir pour aimer" de Juliette. En réalité il semble que cela se passe souvent comme cela : aimer "at first sight" comme chantent les Beatlles... pour Juliette, nenni, quelque chose d'autre que la belle apparence, fût-elle reliée à "un beau intérieur" meut les ressorts de l'amour. La nourrice n'a pas saisi la métaphore de la diminution aussi La Capulet, de peur de se diminuer elle-même sans doute ne prend-elle pas la peine de lui répondre. Mesquine La Capulet on imagine à l'aune ici de la générosité de la nourrice, son opposée.
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