Cela s'est passé il y a juste une demi-heure. La rue est éclairée d'un seul lampadaire à quelques pas de l'endroit où se fait entendre un échange de paroles entre jeunes hommes. Je distingue nettement cependant quatre grands ados au teint blafard, tête levée, le regard dirigé vers ma fenêtre, en train de me regarder avec insistance. Etant donné mon grand âge, ce n'est pas pour mes beaux yeux. Ils voient juste d'où ils sont le profil d'une femme aux cheveux blancs, probablement assise devant un écran d'ordinateur. Vision fort peu passionnante, pourtant ils insistent, me fixent maintenant sans mot dire jusqu'à ce que l'un d'entre eux déclare en patois du Nord "Ché chelle-là es s'porte ed garach ?" alors même que de mon côté je les regarde désormais autant qu'ils me regardent. À cette déclaration qui se voulait sûrement provocante, j'ouvre la fenêtre et leur demande d'une voix polie s'ils ont besoin de quelque chose. Retournement de situation : à ces mots ils prennent instantanément des airs benêts et disent en chœur "Madame, on raccompagne une fille jusqu'ici, c'est tout madame hein, on raccompagne juste une fille." Je leur souris un brin, me penche pour ostensiblement vérifier leurs dires et vois effectivement à la lueur des lampadaires plus lointains s'éloigner une fine silhouette de petite jeune fille qui va bientôt disparaître au tournant. Tant qu'à faire ils auraient pu la laisser en face de sa maison, à moins que celle-ci ne se trouve juste après le virage en question. Pour le coup mes quatre grands ados ont juste joué à vouloir m'intimider en se désignant ma porte de garage et n'étaient pas bien méchants puisqu'au son de ma douce voix, que j'avais empreinte pour l'occasion d'un accent de sollicitude respectueuse, ils se sont faits au contraire rassurants avec des airs naturellement empêtrés. Ce brin d'humanité a permis de remettre en phase ces jeunes cœurs ... d'ailleurs ils raccompagnaient bien une petite jeune fille qu'ils auraient pu dévorer tout cru si méchants ils avaient été. Quelle idée leur est passée alors par la tête de vouloir m'intimider à un moment donné ? L'effet de groupe de jeunes pas très argentés "face" à une vieille qui le paraît plus qu'eux ? Dès que j'ai parlé, ces airs d'enfants battus, pris en faute, oubliées rancunes et rancœurs que peut-être j'ai suscitées à mon seul aspect ... après tout ils ont sûrement de quoi en vouloir aux "anciens"... en général. Moi aussi, jeunes gens, j'ai des anciens et il n'y a pas de quoi exulter non plus... bien que quelques-uns se soient positivement distingués comme j'ai dû le faire l'espace de quelques secondes quand je leur ai parlé tout à l'heure, enfin, peut-être, sans vouloir me flatter. Car à la réflexion, je ne les vois pas revenir me cambrioler ceux-là... magie de quelques paroles anodines mais où perçait de l'humanité... magie d'un regard aimable sur cœur sensibles.
Un poème pour vous, de Fargue :
Un jour, au crépuscule, on passe, après la pluie. Le long des murs d’un parc où songent de beaux arbres... On les suit longtemps. L’heure passe Que les mains de la nuit faufilent aux vieux murs... Mais qu’est-ce qui vous trouble au fil de l’heure pâle Qui s’ourle aux mains noires des grilles? Ce soir, le calme après la pluie a quelque chose Qui fait songer à de l’exil et à la nuit... On entend le bruit nombreux Des feuilles partout Comme un feu qui prend... Des branches clignent. Le silence épie Et il passe des odeurs si pénétrantes Qu’on oublie qu’il y en ait d’autres Et qu’elles semblent l’odeur même de la vie... Plus tard, un peu de soleil dore Une feuille, et deux, et puis tout! Alors, l’oiseau nouveau qui l’ose le premier Après la pluie Chante! Et comme une âcre fleur sort d’une lampe éteinte Il monte de mon cœur l’offrande d’un vieux rêve... Un rayon rôde encore à la crête du mur, Glisse d’une main calme et nous conduit vers l’ombre. Est-ce la pluie? Est-ce la nuit? Au loin, des pas vieux et noirs S’en vont Le long des murs du parc où les vieux arbres songent.
Un poème pour vous, de Fargue :
Un jour, au crépuscule, on passe, après la pluie. Le long des murs d’un parc où songent de beaux arbres... On les suit longtemps. L’heure passe Que les mains de la nuit faufilent aux vieux murs... Mais qu’est-ce qui vous trouble au fil de l’heure pâle Qui s’ourle aux mains noires des grilles? Ce soir, le calme après la pluie a quelque chose Qui fait songer à de l’exil et à la nuit... On entend le bruit nombreux Des feuilles partout Comme un feu qui prend... Des branches clignent. Le silence épie Et il passe des odeurs si pénétrantes Qu’on oublie qu’il y en ait d’autres Et qu’elles semblent l’odeur même de la vie... Plus tard, un peu de soleil dore Une feuille, et deux, et puis tout! Alors, l’oiseau nouveau qui l’ose le premier Après la pluie Chante! Et comme une âcre fleur sort d’une lampe éteinte Il monte de mon cœur l’offrande d’un vieux rêve... Un rayon rôde encore à la crête du mur, Glisse d’une main calme et nous conduit vers l’ombre. Est-ce la pluie? Est-ce la nuit? Au loin, des pas vieux et noirs S’en vont Le long des murs du parc où les vieux arbres songent.
Léon-Paul Fargue, Au fil de l'heure pâle, dans: Pour la musique
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