lundi 27 décembre 2010

Last but not least


La planification française d'Emile Quinet
Chapitre Premier

Pourquoi une planification ?

Plusieurs pays disposent d’un système de planification comme le nôtre, mais la plupart ne lui accordent pas une place aussi importante. Par ailleurs de nombreux autres n’en ont pas, comme par exemple les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne.
La nécessité d’un Plan n’est donc pas une donnée naturelle, mais mérite d’être discutée. La justification de la planification française peut être recherchée dans certains développements de l’analyse économique, mais son apparition résulte des traditions d’intervention de l’Etat, particulièrement manifestes dans l’immédiat après-guerre.

I. — La théorie de la planification indicative

Pour les économistes, la planification indicative est une forme d’organisation à mi-chemin entre deux types extrêmes, le marché et la planification impérative. Ces deux types présentent des vertus et des défauts, et les théoriciens de la planification indicative voient dans cette dernière un moyen de corriger les défauts en gardant les vertus, alors que bien sûr les partisans extrêmes de ces deux organisations dénient à la planification indicative tout rôle.
1. Vertus et défauts du marché.
— Le marché est le système par lequel l’offre et la demande, librement formées par les agents individuels, se confrontent grâce à l’intermédiaire d’un arbitre ou commissaire-priseur qui fixe les prix et les quantités échangées de façon à équilibrer offre et demande.
La théorie économique a beaucoup analysé ce mécanisme et ses capacités à satisfaire l’intérêt général. Le premier à l’avoir fait est probablement Adam Smith avec l’apologue de la main invisible : pour lui chaque agent recherchant son intérêt propre est guidé par le marché comme par une main invisible, vers les actions qui concourent le mieux à l’intérêt général. Les théoriciens ont ultérieurement précisé les conditions nécessaires à la validité de ce résultat ; les plus importantes sont les suivantes :
— chaque agent est « petit » par rapport au marché dans lequel il opère ; il n’a pas de possibilité d’influer sur les prix. Cette condition exclut la présence de monopoles qui rechercheraient leur propre intérêt, et restreignant leur offre, vendraient des quantités réduites à un prix supérieur à celui obtenu par une situation de concurrence parfaite qui, elle, atteint l’intérêt collectif maximum ;
— Il n’y a pas d'effet externe, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de situation dans laquelle un agent peut occasionner un dommage (ou un avantage) pécuniaire ou psychologique à un autre agent sans qu’il en paie les conséquences. Un cas typique d’effet externe est celui des pollutions ou nuisances*. Dans de telles situations l’équilibre naturel ne satisfait pas à l’intérêt général ;
— il existe des marchés pour les biens futurs, qui sont de deux natures : les marchés à terme (du blé livrable dans trois mois), et les marchés contingents sur lesquels s’échangent des biens conditionnels ("un parapluie demain s’il pleut", un bien qui a bien sûr beaucoup plus de valeur que "un parapluie demain s’il fait beau" surtout si demain il pleut effectivement), qui ont été théorisés notamment par K. J. Arrow et G. Debreu ;
La réalité s’écarte des hypothèses de la théorie :
— il y a des monopoles soit parce que les entreprises s’entendent entre elles, soit parce que certaines techniques présentent des rendements croissants et qu’une seule entreprise est la meilleure combinaison pour servir le marché ;
— il y a des effets externes. Les effets sur l’environnement, les plus connus sont loin d’être les seuls.

La plupart des conséquences néfastes de ces deux situations peuvent, selon la théorie économique, être combattues par la puissance publique au moyen d’actions réglementaires ou d’incitations financières (taxes, subventions)

— Il n’y a que très peu de marchés pour les biens futurs. Il n’y a pas de marchés conditionnels, et il n’y a guère de marchés à terme, si ce n’est pour quelques matières premières et pour l’argent. Mais le marché de l’argent (dont le prix est le taux d’intérêt) ne fonctionne pas comme un marché libre où se confrontent l’offre et la demande.
— Enfin, last but not least, très peu de marchés répondent aux exigences de la théorie. Une part importante de l’activité économique échappe au jeu de l’offre et de la demande : environ 50% du PIB dépend de la puissance publique selon des mécanismes hors marché. Et là où joue la loi de l’offre et de la demande, on ne rencontre pas en général toutes les hypothèses qu’elle implique : parfaite définition du bien échangé, parfaite information des agents, et confrontation de l’offre et de la demande par un commissaire-priseur.

C’est en réponse à ces deux derniers défauts que la théorie économique justifie la planification indicative.

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