LE CHANT DE SOLITUDE
Laissez venir à moi tous les chevaux toutes les femmes et les
bêtes bannies
Et que les graminées se poussent jusqu’à la margelle de mon
établi
Je veux chanter la joie étonnamment lucide
D’un pays plat barricadé d’étranges pommiers à cidre
Voici que je dispose ma lyre comme une échelle à poules contre
le ciel
Et que tous les paysans viennent voir ce miracle d’un homme
qui grimpe après les voyelles
Étonnez-vous braves gens ! Car celui qui compose ainsi avec la
Fable
N’est pas loin de trouver place auprès du Divin dans une certaine
Étable !
Et dites-vous le soir quand vous rentrez de la foire aux conscrits
ou bien des noces
Que la lampe qui brûle à l’avant du pays très tard est comme
la lanterne d’un carrosse
Ou d’un navire bohémien qui déambule
Tout seul dans les eaux profondes du crépuscule !
Que mon chant vous atteigne ou non ce n’est pas tant ce qui
importe
Mais la grande ruée des terres qui sont vôtres entre le soleil
et ma porte
Les fumures du Temps sur le ciel répandues
Et le dernier dahlia dans un jardin perdu !
Dédaignez ce parent bénin et maudissez son Lied !
Peut-être qu’un cheval à l’humeur insolite
Un soir qu’il fera gris ou qu’il aura neigé
Posera son museau de soleil dans mes vitres.
(Hélène ou le Règne végétal, éd. Seghers)
mardi 30 mars 2010
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