dimanche 31 octobre 2010

Humanité — Après la lecture De la Terre à la Lune de Jules Verne


Un enthousiasme certain chez Jules Verne, mais tempéré par une fin qui si elle ne se veut pas tragique, au regard de Maston à l'optimisme inébranlable, l’est néanmoins … par la force des choses. Jules Verne n’aime pas la science pour la science, mais la désire au service de l’humanité, c’est ce qui transpire de ce livre et c'est pourquoi je l'ai apprécié. Les hommes, chez lui comme chez Dosto, sont souvent de grands enfants mais n’ayant pas les mêmes objectifs principaux, selon l'univers de l’un ou l’autre auteur. Chez Verne, c’est la grande aventure humaine qui prime, quitte à causer moult dégâts matériels "collatéraux" qui seront minimisés au regard de l'exploit accompli, chez Dostoïevski on est dans le cheminement personnel de chaque personnage, il s’agit d’espoirs déçus, d’égos bafoués, de vanités exacerbées, d'affects fragiles : pas de gloire via les exploits collectifs comme chez Jules Verne. Pourquoi comparer ces deux écrivains ? J’ai trouvé De la terre à la lune à l’étalage d’un bouquiniste, par hasard. Je me suis mise à lire ce livre juste après L’Idiot. Se sentir interpelé par différents livres, même au hasard d’une promenade, les font tout simplement, une fois lus, interagir dans la cervelle du lecteur pour peu que la mémoire ne lui fasse pas défaut, jusqu’à avoir peut-être un jour, petit à petit, au fil des lectures, une vue d’ensemble ( et pas seulement) de notre belle humanité.

samedi 30 octobre 2010

Le portrait de Michel Ardan par Jules Verne


"L’ancre n’avait pas encore mordu le sable, que cinq cents embarcations entouraient l’Atlanta, et le steamer était pris d’assaut. Barbicane, le premier, franchit les bastingages, et d’une voix dont il voulait en vain contenir l’émotion :
— « Michel Ardan ! s’écria-t-il.
— Présent ! » répondit un individu monté sur la dunette. Barbicane, les bras croisés, l’œil interrogateur, bouche muette, regarda fixement le passager de l’Atlanta.
C’était un homme de quarante-deux ans, grand, mais un peu voûté déjà, comme ces cariatides qui portent des balcons sur leurs épaules. Sa tête forte, véritable hure de lion, secouait par instant une chevelure ardente qui lui faisait une véritable crinière. Une face courte, large aux tempes, agrémentée d’une moustache hérissée comme les barbes d’un chat et de petits bouquets de poils jaunâtres poussés en pleines joues, des yeux ronds un peu égarés, un regard de myope complétaient cette physionomie éminemment féline. Mais le nez était d’un dessin hardi, la bouche particulièrement humaine, le front haut, intelligent et sillonné comme un champ qui ne reste jamais en friche. Enfin un torse fortement développé et posé d’aplomb sur de longues jambes, des bras musculeux, leviers puissants et bien attachés, une allure décidée faisaient de cet Européen un gaillard solidement bâti, "plutôt forgé que fondu", pour emprunter une de ses expressions à l’art métallurgique.
Les disciples de Lavater ou de Gratiolet eussent déchiffré sans peine sur le crâne et la physionomie de ce personnage les signes indiscutables de la combativité, c’est-à-dire du courage dans le danger et de la tendance à briser les obstacles ; ceux de la bienveillance et ceux de la merveillosité, instinct qui porte certains tempéraments à se passionner pour les choses surhumaines ; mais en revanche, les bosses de l’acquisivité, ce besoin de posséder et d’acquérir, manquaient absolument.
Pour achever le type physique du passager de l’Atlanta, il convient de signaler ses vêtements larges de forme, faciles d’entournures, son pantalon et son paletot d’une ampleur d’étoffe telle que Michel Ardan se prénommait lui-même "la mort du drap", sa cravate lâche, son col de chemise libéralement ouvert, d’où sortait un cou robuste, et ses manchettes invariablement déboutonnées, à travers desquelles s’échappaient des mains fébriles. On sentait que, même au plus fort des hivers et des dangers, cet homme-là n’avait pas froid — pas même aux yeux.
D’ailleurs, sur le pont du steamer, au milieu de la foule, il allait, venait, ne restait jamais en place,  "chassait sur les angles", comme disaient les matelots, gesticulant, tutoyant tout le monde et rongeant ses ongles avec une avidité nerveuse. C’était l’un de ces originaux que le Créateur invente dans un moment de fantaisie et dont il brise aussitôt le moule.
En effet, la personnalité morale de Michel Ardan offrait un large champ aux observations de l’analyste. Cet homme étonnant vivait dans une perpétuelle disposition à l’hyperbole et n’avait pas encore dépassé l’âge des superlatifs ; les objets se peignaient sur la rétine de son œil avec des dimensions démesurées ; de là une association d’idées gigantesques ; il voyait tout en grand, sauf les difficultés et les hommes.
C’était d’ailleurs une luxuriante nature, un artiste d’instinct, un garçon spirituel, qui ne faisait pas un feu roulant de bons mots, mais s’escrimait plutôt en tirailleur. Dans les discussions, peu soucieux de la logique, rebelle au syllogisme, qu’il n’eût jamais inventé, il avait des coups à lui. Véritable casseur de vitres, il lançait en pleine poitrine des arguments ad hominem d’un effet sûr, et il aimait à défendre du bec et des pattes les causes désespérées.
Entre autres manies, il se proclamait "ignorant sublime", comme Shakespeare, et faisait profession de mépriser les savants, "des gens, disait-il, qui ne font que marquer les points quand nous jouons la partie". C’était, en somme, un bohémien du pays des monts et merveilles, aventureux, mais non pas aventurier, un casse-cou, un Phaéton menant à fond de train le char du Soleil, un Icare avec des ailes de rechange. Du reste, il payait de sa personne et payait bien, il se jetait tête levée dans les entreprises folles, il brûlait ses vaisseaux avec plus d’entrain qu’Agathoclès, et, prêt à se faire casser les reins à toute heure, il finissait invariablement par retomber sur ses pieds, comme ces petits cabotins un moelle de sureau dont les enfants s’amusent.
En deux mots, sa devise était : Quand même ! Et l’amour de l’impossible sa "rulling passion", suivant la belle expression de Pope.
Mais aussi, comme ce gaillard entreprenant avait bien les défauts de ses qualités ! Qui ne risque rien n’a rien, dit-on. Ardan risqua souvent et n’avait pas davantage ! C’était un bourreau d’argent, un tonneau des Danaïdes. Homme parfaitement désintéressé d’ailleurs, il faisait autant de coups de cœurs que de coups de tête ; secourable, chevaleresque, il n’eût pas signé le "bon à pendre" de son plus cruel ennemi, et se serait vendu comme esclave pour racheter un Nègre.
En France, en Europe, tout le monde le connaissait, ce personnage brillant et bruyant …"

mardi 26 octobre 2010

De la Terre à la Lune Jules Verne


Quand Jules Verne manie l'absurde, c'est un vrai plaisir. Au Gun-Club, des génies de la balistique, se désespèrent à cause de la paix qui semble s'éterniser aux États-Unis. L'extrait :
" ... Un jour, pourtant, triste et lamentable jour, la paix fut signée par les survivants de la guerre, les détonations cessèrent peu à peu, les mortiers se turent, les obusiers, muselés pour longtemps, et les canons, la tête basse, rentrèrent aux arsenaux, les boulets s’empilèrent dans les parcs, les souvenirs sanglants s’effacèrent, les cotonniers poussèrent magnifiquement sur les champs largement engraissés, les vêtements de deuil achevèrent de s’user avec les douleurs, et le Gun-club demeura plongé dans un désœuvrement profond.
Certains piocheurs, des travailleurs acharnés, se livraient bien encore à des calculs de balistique ; ils rêvaient toujours de bombes gigantesques et d’obus incomparables. Mais, sans la pratique, pourquoi ces vaines théories ? Aussi les salles devenaient désertes, les domestiques dormaient dans les antichambres, les journaux moisissaient sur les tables, les coins obscurs retentissaient de ronflements tristes, et les membres du Gun-Club, jadis si bruyants, maintenant réduits au silence par une paix désastreuse, s’endormaient dans les rêveries de l’artillerie platonique !
"C’est désolant, dit un soir le brave Tom Hunter pendant que ses jambes de bois se carbonisaient dans la cheminée du fumoir. Rien à faire ! Rien à espérer ! Quelle existence fastidieuse ! Où est le temps où le canon vous éveillait chaque matin par ses joyeuses détonations ?
— Ce temps-là n’est plus, répondit le fringant Bilsby, en cherchant à se détirer les bras qui lui manquaient. C’était un plaisir alors ! On inventait un obusier, et, à peine fondu, on courait l’essayer devant l’ennemi ; puis, on rentrait au camp avec un encouragement de Sherman ou une poignée de main de Mac-Clellan ! Mais, aujourd’hui, les généraux sont retournés à leur comptoirs, et, au lieu de projectiles, ils expédient d’inoffensives balles de coton ! Ah ! Par sainte Barbe ! L’avenir de l’artillerie est perdu en Amérique !
— Oui, Bilsby, s’écria le colonel Blomsberry, voilà de cruelles déceptions ! Un jour on quitte ses habitudes tranquilles, on s’exerce au maniement des armes, on abandonne Baltimore pour les champs de bataille, on se conduit en héros, et, deux ans, trois ans plus tard, il faut perdre le fruit de tant de fatigues, s’endormir dans une déplorable oisiveté et fourrer ses mains dans ses poches."

Quoi qu’il pût dire, le vaillant colonel eût été fort empêché de donner une pareille marque de son désœuvrement, et cependant, ce n’étaient pas les poches qui lui manquaient.

"Et nulle guerre en perspective ! Dit alors le fameux J.-T Maston, en grattant de son crochet de fer son crâne en gutta-percha. Pas un nuage à l’horizon, et cela quand il y a tant à faire dans la science de l’artillerie ! Moi qui vous parle, j’ai terminé ce matin une épure, avec plan, coupe et élévation, d’un mortier destiné à changer les lois de la guerre !
— Vraiment, répondit celui-ci. Mais à quoi serviront tant d’études menées à bonnes fins, tant de difficultés vaincues ? N’est-ce pas travailler en pure perte ? Les peuples du nouveau monde semblent s’être donné le mot pour vivre en paix, et notre belliqueux
Tribune (1) en arrive à pronostiquer de prochaines catastrophes dues à l’accroissement scandaleux des populations !
— Cependant, Maston, reprit le colonel Blomsberry, on se bat toujours en Europe pour soutenir le principe des nationalités !
— Eh bien ?
— Eh bien, il y aurait peut-être quelque chose à tenter là-bas, et si l’on acceptait nos services …
— Y pensez-vous ? S’écria Bilsby. Faire de la balistique au profit des étrangers !
— Cela vaudrait mieux que de n’en pas faire du tout, riposta le colonel.
— Sans doute, dit J.-T. Maston, cela vaudrait mieux, mais il ne faut même pas songer à cet expédient.
— Et pourquoi cela ? Demanda le colonel.
— Parce qu’ils ont dans le vieux monde des idées sur l’avancement qui contrarieraient toutes nos habitudes américaines. Ces gens-là ne s’imaginent pas qu’on puisse devenir général en chef avant d’avoir servi comme sous-lieutenant, ce qui reviendrait à dire qu’on ne saurait être bon pointeur à moins d’avoir fondu le canon soi-même ! Or, c’est tout simplement …
— Absurde ! Répliqua Tom Hunter en déchiquetant les bras de son fauteuil à coups de  "bowieknife", et puisque les choses en sont là, il ne nous reste plus qu’à planter du tabac ou à distiller de l’huile de baleine !
— Comment ! S’écria J.-T. Maston d’une voix retentissante, ces dernières années de notre existence, nous ne les emploierons pas au perfectionnement des armes à feu ! Une nouvelle occasion ne se représentera pas d’essayer la portée de nos projectiles ! L’atmosphère ne s’illuminera plus sous l’éclair de nos canons ! Il ne surgira pas une difficulté internationale qui nous permette de déclarer la guerre à quelque puissance transatlantique ! Les Français ne couleront pas un seul de nos steamers, et les Anglais ne prendront pas, au mépris du droit des gens, trois ou quatre de nos nationaux !
— Non, Maston, répondit le colonel Blomsberry, nous n’aurons pas ce bonheur ! Non ! Pas un de ces incidents ne se produira, et, se produisît-il, nous n’en profiterions même pas ! La susceptibilité américaine s’en va de jour en jour, et nous tombons en quenouille !
— Oui, nous nous humilions ! Réplique Bilsby.
— Et l’on nous humilie ! Riposta Tom Hunter.
— Tout cela n’est que trop vrai, répliqua J.-T. Maston avec une nouvelle véhémence; Il y a dans l’air mille raisons de se battre et l’on ne se bat pas ! On économise des bras et des jambes, et cela au profit de gens qui n’en savent que faire ! Et tenez, sans chercher si loin le motif de guerre, l’Amérique du Nord n’a-t-elle pas appartenu autrefois aux Anglais ?
— Sans doute, répondit Tom Hunter en tisonnant avec rage du bout de sa béquille.
— Eh bien, reprit J.-T. Maston, pourquoi l’Angleterre à son tour n’appartiendrait-elle pas aux Américains ?
— Ce ne serait que justice, riposta le colonel Blomsberry.
— Allez proposer cela au président des États-Unis, s’écria J.-T. Maston, et vous verrez comment il vous recevra !
— Il nous recevra mal, murmura Bilsby entre les quatre dents qu’il avait sauvées de la bataille.
— Par ma foi, s’écria J.-T. Maston, aux prochaines élections il n’a que faire de compter sur ma voix !
— Ni sur les nôtres, répondirent d’un commun accord ces belliqueux invalides.
— En attendant, reprit J.-T. Maston, et pour conclure, si l’on ne me fournit pas l’occasion d’essayer mon nouveau mortier sur un vrai champ de bataille, je donne ma démission de membre du Gun-Club, et je cours m’enterrer dans les savanes de l’Arkansas !
— Nous vous y suivrons", répondirent les interlocuteurs de l’audacieux J.-T. Maston.
Or, les choses en étaient là, les esprits se montaient de plus en plus, et le Club était menacé d’une dissolution prochaine, quand un événement inattendu vint empêcher cette regrettable catastrophe
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Jules Verne De la Terre à la Lune
(1) Tribune : le plus fougueux journal abolitionniste de l'Union.

lundi 25 octobre 2010

Mes impressions après la lecture de L'Idiot


Il n’est pas étonnant que Dostoïevski fasse exprimer à l’un des personnages de son roman un certain scepticisme au sujet de la notion de découverte en soi (lorsque ce personnage parle de Christophe Colomb notamment), traduisant peut-être par là son propre sentiment de fatalité quant à la destinée du Prince Muichkine. Celui-ci va en effet de découverte en découverte à travers entre autre, l’expression des visages de ceux qu’il traite d’emblée comme des proches, leurs discours etc., sans trop comprendre de quoi il retourne parfois, ou ne le comprenant que trop bien à d’autres moments. La dernière découverte, particulièrement macabre, ne sera d’ailleurs pas digérée du tout : retour donc à la case départ pour lui. Le contexte de violence sociale qui va bientôt atteindre son paroxysme en Russie se fait ressentir dans la défiance des personnages entre eux. Lebedev joue double, voire "triple-jeu", selon bien entendu ses intérêts, s’adapte à toutes les situations avec sa dose quotidienne de cynisme à rebours, lui et "ses amis" oscillent entre des attitudes généreuses ou prédatrices envers Léon Nicolaïevitch Muichkine. Ils finissent pourtant par être, le plus souvent, sincèrement amicaux avec lui, étant donné la candeur désarmante du prince Muichkine, et ses efforts évidents pour échapper à la condition d’inadapté tant redoutée de lui, et pour cause ; efforts d’adaptation qu’il nomme "sa bonne volonté". La Haute société quant à elle, Dostoïevski nous la montre comme un infernal panier de crabes où son héros, au comble de la tension nerveuse, perd littéralement pied en raison d’une crise d’épilepsie qui le terrasse soudainement. On se dit évidemment devant ce marasme qu’il eût mieux valu, dans cette situation, ne serait-ce qu’un tout petit peu de misanthropie de la part du prince Muichkine, de défiance que l’on pourrait apparenter à l’instinct de conservation. Mais le prince voulut à tout prix faire montre de cette confiance dans le prochain que sa foi lui intime d’avoir ; confiance qu’il semble éprouver de façon toute artificielle, à en juger par son agitation lorsqu’il se retrouve parmi la Haute société. Est-ce une interprétation du destin de Jésus qui transparaît chez Dostoïevski dans ce roman ou l‘expression de sa foi en l’homme qui vacille dans un contexte historique très difficile ? Ce livre L’Idiot représente en tout cas un travail colossal, reconnaissance de la part des lecteurs oblige !

dimanche 24 octobre 2010

Dostoïevski - L'Idiot


Avec L'Idiot, Dostoïevski explore les mécanismes déclencheurs de la folie, les états limite, et celui, douloureux, du prince avant son éveil. Nous le voyons évoluer ensuite dans une société qui ne l'épargne pas. L'Idiot est un livre accessible à tout lecteur voulant prêter attention à l'humanité dans toute sa complexité. Un extrait :
"Cela se passait en Suisse, la première année de son traitement, au cours même des premiers mois. Il était encore, à cette époque, tout à fait comme un idiot ; il ne savait même pas bien parler, parfois ne comprenait pas ce qu’on voulait de lui. Un jour ensoleillé et très clair, il était allé dans la montagne et il avait erré longuement, absorbé par une pensée douloureuse qui n’arrivait pas à se formuler en lui. Devant lui s’étendait un ciel éclatant, au-dessous un lac, et tout autour un horizon lumineux sans fin ni limite. Il était resté longtemps à regarder et à se tourmenter. Il se souvint maintenant qu’il étendait les bras vers cet azur limpide en versant des larmes. Il souffrait de se sentir étranger à tout cela. Quel était donc ce festin, quelle était cette éternelle grande fête qui n’avait pas de fin et vers laquelle il se sentait attiré depuis longtemps, depuis toujours, depuis son enfance, et à laquelle il ne parvenait pas à se joindre. Chaque matin un soleil aussi radieux se lève ; chaque matin l’arc-en-ciel joue sur la cascade ; chaque soir la montagne à la cime neigeuse la plus élevée, loin là-bas, à la limite du ciel, s’embrase d’une flamme pourpre ; chaque "petit moucheron qui bourdonne auprès de lui dans l’ardent rayon de soleil participe à ce chœur, connaît sa place, l’aime et en est heureux" ; chaque herbe est heureuse en poussant ! Tout possède sa voie, et tout connaît sa voie, s’éloigne en chantant et revient en chantant ; seul, lui ne sait rien, ne comprend rien, ni les hommes, ni les sons, étranger à tout, rejeté de tout. Oh, bien sûr il n’était pas alors capable d’employer ces mots et de formuler ainsi sa question ; sa souffrance était sourde et muette ; mais il lui semblait à présent qu’alors aussi il disait tout cela, ces mêmes paroles, et que c’était à lui qu’Hippolyte avait emprunté ce qu’il avait dit au sujet du "moucheron", à ses paroles et à ses larmes d’alors. Il en était persuadé ; et cette pensée faisait, il ne savait pourquoi, battre son cœur …
Il s’assoupit sur le banc, mais son angoisse ne le quitta pas, même dans son sommeil. Juste avant de s’endormir, il se souvint qu’Hippolyte tuerait dix personnes et il sourit à l’absurdité de la supposition. Un silence merveilleux et serein l’environnait, où seul on entendait le frémissement des feuilles, et ce frémissement semblait rendre tout, autour de lui, encore plus silencieux et plus solitaire. Il fit un grand nombre de rêves, tous angoissants et qui le faisaient tressaillir à chaque instant. À la fin, il vit venir à lui une femme ; il la connaissait, il la connaissait jusqu’à la souffrance ; il pouvait toujours la montrer et l’appeler par son nom, mais, chose étrange, elle semblait avoir à présent un tout autre visage que celui qu’il avait toujours connu, et il éprouvait une douloureuse répugnance à la reconnaître pour cette femme. Ce visage exprimait tant de remords et d’horreur qu’on eût dit que c’était une terrible criminelle qui venait de commettre un crime effroyable. Une larme tremblait sur sa joue pâle ; elle lui fit signe de la main et mit un doigt sur ses lèvres comme pour l’avertir de la suivre sans bruit. Son cœur s’arrêta de battre ; à aucun prix, pour rien au monde, il ne voulait la reconnaître pour une criminelle ; mais il sentait qu’à l’instant même quelque chose d’affreux allait se produire qui pèserait sur toute sa vie. Elle voulait, semblait-il, lui montrer quelque chose, non loin de là, dans le parc. Il s’était levé pour la suivre et soudain il entendit près de lui un rire clair et frais ; une main se trouva subitement dans sa main ; il saisit cette main, la serra fortement dans la sienne et se réveilla. Devant lui se tenait Aglaé qui riait aux éclats."
extrait de L'Idiot de Dostoïevski, Classique de poche page 619

mardi 19 octobre 2010


Les pays membres de l’Union harmonisent-ils leur politique en matière d’immigration de travail venue des pays tiers ?

En matière de migration de travail, et plus encore depuis la crise, les États membres entendent rester maîtres sur leur territoire national, même si les débats actuels sur la gouvernance économique de l’Union pourraient les forcer à aborder ensemble le sujet, fût-ce sans le dire explicitement, à travers les questions de l’emploi et de la pauvreté.
Pour l’heure, les divergences sont grandes. Les pays qui ont fait un choix courageux en accueillant de nombreux immigrants dans les années 2000, en supportent le coût aujourd’hui puisque la plupart de ces migrants sont restés sur place. En revanche, l’Allemagne, par exemple, reste très protectionniste en la matière, au nom de la défense de l’État-providence. Les syndicats allemands notamment sont sur cette ligne alors qu’à l’inverse, la gauche d’Europe du Sud est assez systématiquement pro-immigration — quitte à négliger les conditions d’exploitation dans lesquelles vivent de nombreux migrants, surtout les clandestins. Plusieurs pays de l’Union voudraient bien trier les immigrants pour ne retenir que les plus qualifiés. L’Allemagne a essayé d’attirer ainsi des informaticiens indiens. Sans succès … Nicolas Sarkozy, lui, a mis en avant l’immigration "choisie". Mais ce type de politique, pratiqué au Canada par exemple, exige une compétence administrative spécifique qui est très longue à acquérir. Et cela coûte en outre très cher. Alternatives internationales Numéro 48

Les voyageurs devront-ils justifier leurs déplacements dans un monde qui se verrouille de plus en plus ? C’est la question qui me vient tout de suite à l’esprit en lisant cet article intitulé "L'Union doit se doter de règles plus souples". Pour les touristes très encadrés et riches, pas de problème, mais adieu voyageurs bohèmes et poètes dans l’âme : les globe-trotters d’aujourd’hui sont des techniciens, des informaticiens (les déplacements ne devraient pourtant pas être indispensables pour ces derniers. Il faut croire que la machine ne peut pas tout). Bientôt les robots pourront eux aussi se mettre en marche à travers le vaste monde en raison de leur utilité patentée. Il reste, pour ceux qui ne sont pas dans le bon créneau, à développer une philosophie d’ultra sédentaires. Dans un futur proche, quand un policier demandera au voyageur ses papiers, peut-être incombera-t-il à celui-ci de lui fournir sur-le-champ des photocopies de ses diplômes et certificats divers de compétences en tous genres en plus de sa carte d'identité. "La bourse ou la vie", dans une doxa différente ! Sans regret, voyageur bohème en herbe ! Le monde devient tellement violent que l’envie de bouger sans encadrement "spécifique" s’émousse de toute façon.

dimanche 17 octobre 2010

Les jeunes et le volontariat


La coopération décentralisée ayant recours à des volontaires, dans le cadre des collectivités territoriales. C’est le sujet de l’article de Elsa Fayner pour la revue Alternatives internationales. "À l’origine, ce sont l’État, dans le cadre de sa coopération bilatérale, puis le secteur associatif qui ont recouru aux volontaires", rappelle Pierre Daniel, de France Volontaires, un organisme public de promotion du volontariat international. "Par la suite, les collectivités territoriales, se voyant attribuer de plus en plus de compétences, se sont mises à développer leurs propres relations avec le Sud, dans les années 1980. À mesure que cette coopération prenait de l’ampleur, elles ont commencé, il y a une dizaine d’années, à recourir à des volontaires …"
"Grâce aux volontaires, le conseil général établit un lien de confiance avec nos partenaires du Sud, décode les situations et assure sa représentation" dixit Anna Calvez, du conseil général du Finistère.

jeudi 14 octobre 2010

John Steinbeck La perle


"Le jour où Kino l’Indien pêche la Perle du Monde, "parfaite comme une lune", les forces du mal se déchaînent autour de lui. La cupidité et l’envie l’obligent à se battre et à tuer ; sa hutte brûle, sa pirogue est défoncée. Kino qui, chaque matin, s’enchantait des mirages familiers de la terre et de l’eau, doit fuir au désert avec Juana. Leur bébé meurt bien avant qu’ils aient atteint la ville inconnue. La perle fabuleuse n’aura été pour eux qu’une brève rêverie et un atroce cauchemar. On ne dérange pas si facilement l’ordre du monde. Un personnage sinistre veille d’ailleurs à ce qu’il soit respecté : l’Acheteur de perles, unique et multiple, menteur, impitoyable.
Aspirer à un destin autre que celui pour lequel on semble avoir été créé, est-ce le péché ? La résignation vaut-elle mieux que la révolte ? Les questions se pressent entre les lignes de ce petit livre. Kino est bien le tiers monde, l’analphabète et le pauvre, si pauvre qu’il ne saurait retenir entre ses mains aucune richesse. Mais n’est-il pas tout homme à la recherche de l’impossible ? L’auteur nous a prévenus dès la première page : "Si cette histoire est une parabole, peut-être … chacun y découvrira-t-il le sens de sa propre vie." "

"John Steinbeck est né à Salinas, en Californie, en 1902. D’origine allemande et irlandaise, il a grandi dans une famille typiquement américaine, laborieuse et provinciale : son père était fonctionnaire et sa mère institutrice. Après ses études secondaires, il fait les métiers les plus divers pour payer ses études à l’Université de Sandford. Il passe quelques mois à New York comme reporter, mais souffre de l’atmosphère de la ville et retourne en Californie. Il trouve un emploi de gardien d’une maison isolée dans les montagnes près du lac Tahoe. Dans le calme de l’hiver il écrit La Coupe d’or qui est publié en 1929. Encouragé, il décide de se consacrer à la littérature. En 1935 paraît Tortilla Flat, en 1937 Des souris et des hommes. Les Raisins de la colère, en 1939, est considéré comme le plus grand roman décrivant la crise sociale qui sévissait à l’époque. Ces romans s’adaptent merveilleusement au cinéma, ce qui apporte à Steinbeck un surcroît de célébrité.
Le Prix Nobel couronne son œuvre en 1962.
Il meurt en 1968."
Collection Folio, chez Gallimard
Un extrait :
"Et juan Tômas qui, parce qu'il était le frère de Kino, s'était accroupi à la droite de celui-ci, demanda : "Que feras-tu, maintenant que tu es devenu un homme riche ? "
Kino plongea le regard dans sa perle, tandis que Juana, abaissant les paupières, ramenait son châle sur son visage pour dissimuler son émotion. Dans la flamme de la perle se formaient des images que l'esprit de Kino avait autrefois caressées, puis abandonnées comme impossibles. Dans la perle, il vit juana, Coyotito et lui-même, debout puis agenouillés devant le grand autel : le prêtre les mariait, maintenant qu'ils avaient de quoi payer. "Nous allons nous marier ... à l'église", annonça-t-il à voix basse.
Dans la perle, il vit comment ils seraient habillés : Juana dans un châle neuf, tout raide de nouveauté, et au bas de la longue jupe, Kino vit dépasser ses pieds chaussés de souliers. C'était là, dans la perle, c'était là qu'il voyait l'image. Lui aussi portait des habits blancs tout neufs et il tenait un chapeau à la main — pas un chapeau de paille, mais un beau feutre noir. Et lui aussi avait des chaussures — non pas des sandales, mais de vrais souliers à lacets. Et Coyotito — c'était lui qu'il fallait voir — était vêtu d'un costume marin bleu, le costume des marins américains, avec, sur la tête, une petite casquette de yachtman, comme celle que Kino avait vue, il y avait longtemps, à bord d'un bateau de plaisance ancré dans l'estuaire. Toutes ces choses, Kino les vit dans la perle luisante et il dit : "Nous aurons des habits tout neufs."
Et la musique de la perle s'éleva comme une fanfare de trompettes dans ses oreilles."

mercredi 13 octobre 2010

Extrait du Portrait du réalisateur Raoul Ruiz

lu dans Télérama :
Pourriez-vous m’indiquer le chemin pour la tour de Babel ?
"Mes films sont très parlés, l’image sonore comptant autant que l’image visuelle. Tout ce qui est lié aux langues et aux accents me fascine. Les Chiliens sont capables de parler des heures, sans verbe ni sujet. Leurs phrases deviennent des bruits … je suis vivement intéressé par ce cas inédit de prisonniers — un Italien, un Russe, un Anglais — dans un camp au Japon durant la Seconde Guerre mondiale, qui finissent par parler tranquillement le latin, car c’est leur seule langue commune. Imaginer les malentendus liés à leur accent me réjouit.
Il y a aussi l’"aljamia", cette langue difficile à prononcer, pratiquée par les musulmans en Andalousie. J’ai fait un film,
La Chouette aveugle, avec des Belges qui parlent l’aljamia et dans lequel j’ai ajouté toutes sortes de bruits de bouche, importés du Chili et du Sénégal. Je ne connais pas beaucoup de langues, mais j’apprends des poèmes la nuit, pour lutter contre l’insomnie et Alzheimer par la même occasion. J’aime beaucoup le provençal ou le sicilien de cour du XVIIe … Pourquoi le portugais est-il si cinématographique ? En raison de son discours implicite, de ce qui est derrière la langue, y compris le silence. En français, quand on commence à parler, on sait à peu près comment on va finir la phrase et le discours explicite est plus fort que tout. Tandis qu’en portugais ou en chilien, dire les choses frontalement est carrément obscène. De là le charme indéfinissable des acteurs portugais disant leur texte : on dirait tout le temps des chats en train de ronronner."

Génie méconnu

"C’est plutôt un avantage, de ne pas être connu. Je me souviens d’une réplique dans un film de Manoel de Oliveira, La Cassette, où un guitariste parle avec le patron d’un petit café : "J’ai 75 ans et personne ne me connaît, ce n’est pas rien." Au Chili, je suis accueilli comme une figure nationale, je ne vais pas, en plus, leur demander de voir mes films ! Un ami avait résumé cela en une lettre : "j’admire beaucoup votre travail et n’avoir rien vu de vous n’a fait qu’augmenter mon admiration." Mes films ont, malgré tout, de curieux destins. Très peu de gens, par exemple, ont vu L’île au trésor, en France. Alors qu’aux États-Unis, il est multidiffusé comme un classique sur les chaînes du câble."

mardi 12 octobre 2010

Mon sentiment sur Dostoïevski

Les écrits de Dostoïevski sont ancrés dans une réalité plus que difficile. Sa foi a quelque chose d’intéressant : Dieu n’étant pas punitif, le sort qui s’acharne sur les hommes ainsi que sur les animaux (car Dostoïevski s’intéresse aussi à eux dans les Récits de la Maison des morts), n’est pas de son fait. Pour parler des criminels, il emploie les mots "vanité" parce qu'ils ne résistent pas à leurs égoïsmes et "enfants", ce qui induit une certaine faiblesse de leur part. C’est un Dieu qui navigue dans des éléments hostiles, donc "ici bas", il revient aux hommes de faire en sorte que ça change. Dieu, me semble-t-il, représente uniquement pour Dostoïevski un ailleurs, le havre de paix que des terriens comme lui s’échinent patiemment à mériter. En ce qui concerne ceux qu'il nomme "les fous", il évacue si j'ose dire, comme s' il se sentait débordé par la question. Tellement fragiles ces "fous" que c'en est trop pesant sans doute pour un écrivain qui a déjà fort à faire avec "ses camarades" les forçats.

vendredi 8 octobre 2010

Terrorisme Histoire et Droit

"La situation de départ est fournie par la difficulté que rencontrent les juristes dès lors qu’il leur revient d’incriminer les actes terroristes d’un point de vue pénal, c’est-à-dire de faire la part du bien et du mal dans la qualification de l’acte. Le droit est en effet l’un des acteurs majeurs de la scène sur laquelle se joue le terrorisme, dans la mesure où les normes internationales s’efforcent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale de canaliser l’emploi de la violence. C’est cette tendance à encadrer l’exercice de la violence que vient remettre en cause l’événement terroriste. On se souvient de la discussion qui avait réuni en 2001 Derrida et Habermas autour de la notion de terrorisme compris comme événement. ...
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L’article de Barbara Lambauer, consacré à la lutte de l’Allemagne nazie contre le « terrorisme » des résistants en URSS, en Serbie et en France, revient non seulement sur la plasticité du terme, mais aussi sur les liens entre guerre et terrorisme. Elle montre comment ce qui distingue les méthodes employées par les nazis des expériences « contre-terroristes » précédentes tient dans le niveau de violence atteint par les représailles, à l’image de la violence déployée par les armées allemandes contre les populations des pays occupés, mais également dans le lien systématique établi par l’occupant avec la politique anti-juive menée sur ces trois territoires."
Intégral :http://www.laviedesidees.fr/Le-terrorisme-de-Robespierre-a-Al.html

jeudi 7 octobre 2010

Clin d'œil au coin

Ce matin j’ai planté des rosiers nains et un cyclamen. Une cascade de capucines lancent leurs tiges évoquant de minces tuyaux flexibles, à l’assaut du grillage et de la haie, leurs larges feuilles tranchent avec le reste du feuillage ; cet astucieux système d’arrosage interne profite également aux fleurs. Au début elles s’épanouissent discrètement, toujours un peu cachées parmi les feuilles, puis elles finissent par montrer franchement leurs petites clochettes orange, jaunes ou rouges. Le feuillage retombant et léger des giroflées leur donne l’air ébouriffé et élégant. Bref, ce petit coin de terre semble à la fête, éclairé par de nouveaux lampions qui resteront allumés durant tout l'automne peut-être.

lundi 4 octobre 2010

L'hôpital extrait des Récits

"Les fers ne sont qu’un signe d’infamie, une honte, un fardeau physique et moral. C’est du moins ainsi qu’ils sont conçus. Quant à empêcher quelqu’un de s’évader, ils en sont bien incapables. Le moins expert, le plus maladroit des prisonniers trouvera moyen, sans grand mal et très vite, de les scier ou de faire sauter d’un coup de pierre le rivet. Les fers aux pieds ne préviennent donc absolument rien. S’il en est ainsi, s’ils sont appliqués, à un forçat déjà condamné, uniquement à titre de châtiment, alors, je le demande encore une fois : faut-il châtier un mourant ?
Voici qu’au moment où j’écris cela, me revient le vif souvenir d’un mourant, un poitrinaire, ce même Mikhaïlov qui avait son lit presque en face de moi, non loin d’Oustiantsev, et qui mourut, il m’en souvient, le quatrième jour de mon arrivée dans la salle. Peut-être qu’en parlant maintenant des poitrinaires, je n’ai fait que reproduire involontairement les impressions et les réflexions qui s’étaient alors présentées à moi à l’occasion de cette mort.
Ce Mikhaïlov, d’ailleurs, je le connaissais peu. C’était un homme encore très jeune, dans les vingt-cinq ans, pas davantage, grand, mince, et d’apparence extrêmement comme il faut. Il était à la Section spéciale et était taciturne jusqu’à la bizarrerie, toujours dans une espèce de mélancolie douce et tranquille. Il semblait "sécher" au bagne : telle était du moins l’expression qu’employaient ensuite à son sujet les détenus, chez qui il avait laissé un souvenir favorable. Je me rappelle seulement qu’il avait de beaux yeux, et vraiment je ne sais pas pourquoi son souvenir me revient aussi net.
Il mourut sur les trois heures de l’après-midi, un jour clair et glacé. Je m’en souviens, le soleil traversait de ses rayons obliques, vigoureux, les vitres vertes, légèrement givrées, des fenêtres de notre salle. Tout un faisceau de ces rayons se déversait sur le malheureux. Il mourut sans connaissance, après une longue et pénible agonie de plusieurs heures. Le matin déjà, ses yeux ne reconnaissaient plus ceux qui l’approchaient. On voulait le soulager, on voyait qu’il souffrait beaucoup ; il respirait difficilement, profondément, avec des râles ; sa poitrine se soulevait très haut, comme s’il manquait d’air. Il rejeta sa couverture, tous ses vêtements, et finalement commença à arracher sa chemise : même elle, lui paraissait lourde. On l’aida : on lui retira aussi sa chemise. Il était effrayant de voir ce corps interminablement long, avec ses bras et ses jambes desséchés jusqu’aux os, son ventre creux, sa poitrine soulevée, ses côtes qui se dessinaient clairement, comme sur un squelette. Sur son corps, il ne restait plus qu’une petite croix de bois, avec un sachet d’encens, et les fers, par lesquels, semblait-il, il aurait pu maintenant faire passer ses jambes desséchées.
Une demi-heure avant sa mort, tous chez nous firent silence, on ne parla plus qu’à mi-voix. Si quelqu’un marchait, il posait le pied sans bruit. On causait peu, de choses indifférentes, de temps en temps seulement on jetait un regard sur le mourant, qui râlait de plus en plus. Enfin, d’une main errante et incertaine, il chercha sur sa poitrine son sachet et voulut l’arracher, comme si lui aussi lui pesait, l’incommodait, l’opprimait. On lui retira aussi le sachet. Dix minutes après, il mourut.
On frappa à la porte, on prévint l’homme de garde. Un gardien entra, regarda stupidement le cadavre, et s’en fut chercher l’infirmier. Celui-ci, un jeune et bon garçon, un peu trop occupé de son extérieur, d’ailleurs assez réussi, apparut bientôt. À pas rapides, marchant bruyamment dans la salle silencieuse, il s’approcha du mort et, d’un air tout particulièrement dégagé, comme inventé exprès pour la circonstance, lui prit le pouls, le tâta, fit un geste d’impuissance et s’en fut.
Aussitôt on alla avertir le poste de garde : c’était un criminel dangereux, de la Section spéciale ; même pour constater sa mort, il fallait des cérémonies spéciales. Dans l’attente des hommes de garde, un des prisonniers émit à voix basse l'opinion qu’il serait bon de lui fermer les yeux. Un autre l’écouta attentivement, s’approcha sans mot dire du mort et lui ferma les yeux. Ayant remarqué la croix déposée sur l’oreiller, il la prit, l’examina et sans mot dire la remit au cou de Mikhaïlov ; l’ayant remise, il se signa. Cependant le visage du mort se durcissait ; un rayon de lumière s’y jouait ; la bouche était entr’ouverte, deux rangées de dents, jeunes et blanches, brillaient sous des lèvres fines, collées aux gencives.
Enfin entra le sous-officier de garde, avec le casque et le sabre ; derrière lui, deux gardiens. Il avançait en ralentissant de plus en plus le pas, regardant avec embarras les prisonniers immobiles qui, de toutes parts, le considéraient sévèrement. À un pas du mort, il s’arrêta, comme cloué sur place, intimidé. Absolument nu, décharné, n’ayant plus sur lui que ses fers, le cadavre lui fit impression : soudain il dégrafa sa jugulaire, ôta son casque, ce qui n’était nullement exigé, et fit un large signe de croix. C’était un visage grave, grisonnant, de vieux soldat. Je m’en souviens, à ce même instant Tchekounov était à son côté, lui aussi homme d’âge aux cheveux blancs. Tout le temps il regarda silencieusement et fixement le visage du sous-officier, en face et à bout portant, et surveilla avec une attention singulière chacun de ses gestes. Mais leurs yeux se rencontrèrent, et tout d’un coup Tchekounov eut la lèvre inférieure qui trembla. Il la tordit dans un mouvement bizarre, montra ses dents et rapidement, comme à l’improviste, en indiquant de la tête au sous-officier le mort, prononça :
— Lui aussi, il avait une mère !
Puis il s’en fut.
Je m’en souviens, ces paroles me transpercèrent …
Pourquoi les a-t-il prononcées, et comment lui étaient-elles venues à l’esprit ? Mais on commença à soulever le corps ; on le souleva avec son lit ; la paille craqua ; les fers sonnèrent, dans le silence général, en heurtant le plancher … On les rementa.
Le corps fut emporté. Soudain tous parlèrent à voix haute. On entendit le sous-officier, dans le corridor, envoyer chercher le forgeron. Il fallait déferrer le mort …
Mais je me suis écarté de mon sujet ..."
Dostoïevski extrait de la deuxième partie des Récits de la Maison des morts p. 274 à 277.…

Récits de la Maison des morts suite chapître XI

"Cela débute doucement, presque imperceptiblement, puis le motif grandit, grandit toujours, le rythme s’accélère, des chiquenaudes endiablées font sonner le bois de la balalaïka … C’est la  "Komarinskaïa" dans toute sa fougue, et, vraiment, ce serait bien si Glinka pouvait par fortune l’entendre chez nous, au bagne ! Alors débute la pantomime en musique. La "Komarinskaïa" ne cesse pas durant toute la pantomime. La scène représente l’intérieur d’une izba. Un meunier et sa femme. Le meunier, dans un coin, répare un harnais ; dans l’autre coin, la femme file du lin. La femme est Sirotkine, et le meunier Netsviétaev.
Je ferai remarquer que nos décors sont très pauvres. Et dans cette pièce, et dans la précédente, et dans les autres, vous complétez avec votre imagination plutôt que vous ne voyez avec les yeux. En guise de mur de fond, on a tendu un tapis ou une couverture de cheval ; sur le côté, de misérables écrans. Le côté gauche n’a rien, de sorte qu’on voit les bat-flanc. Mais les spectateurs ne sont pas exigeants, et consentent à compléter de leur imagination la réalité, d’autant plus que les bagnards ont pour cela beaucoup de capacités. "Un jardin, qu’on a dit : va pour un jardin ! Une chambre : va pour la chambre ! Une izba : va pour une izba ! C’est égal. À quoi bon faire des manières ?"
Sirotkine, en costume de jeune campagnarde est tout à fait charmant. Parmi les spectateurs s’entendent, à mi-voix, quelques compliments. Le meunier termine son travail, prend son bonnet, prend son fouet, s’approche de sa femme et lui explique par gestes qu’il doit s’en aller : mais si en son absence elle reçoit quelqu’un … Et il montre le fouet. La femme écoute et hoche la tête. Ce fouet, sans doute, lui est bien connu : elle court la prétentaine. Le mari s’en va. À peine a-t-il passé la porte, la femme, dans son dos, lui montre le poing. Mais on frappe : la porte s’ouvre et de nouveau entre… le voisin, meunier lui aussi, un homme en cafetan et barbu. Il tient à la main un cadeau : un fichu rouge. La jeune femme rit. Mais à peine le voisin fait-il mine de l’embrasser qu’on frappe encore à la porte. Où le fourrer ? Elle le cache à la hâte sous la table, et se remet à son fuseau. C’était un autre adorateur : un secrétaire de compagnie, en costume militaire.
Jusqu’ici la pantomime est irréprochable : le geste était immanquablement juste. On pouvait même s’étonner, à voir ces acteurs improvisés, et se demander malgré soi : combien d’énergies et de talents périssent parfois chez nous, en Russie, presque en pure perte, faute de liberté ou par les duretés du sort ! Mais le forçat qui jouait le secrétaire avait sans doute fait partie jadis d’une troupe domestique ou provinciale, et il lui sembla que nos acteurs, tous jusqu’au dernier, ne comprenaient pas le métier et ne marchaient pas comme il faut marcher sur la scène. Et le voici qui fait une entrée comme, paraît-il, les faisaient au bon vieux temps les héros classiques : il avance largement une jambe et, avant même d’avoir amené l’autre, s’arrête brusquement, rejette en arrière tout le buste, la tête, regarde fièrement autour de lui et … fait un second pas. Si pareille démarche était ridicule chez les héros classiques, dans une scène comique, chez un secrétaire d’état-major, elle l’est encore davantage. Mais notre public estimait que, probablement, il fallait agir de la sorte, et les larges enjambées du scribe interminable furent admises comme un fait accompli, sans critique spéciale.
À peine le scribe avait-il atteint le milieu de la scène que se fit encore entendre un coup à la porte : la maîtresse de maison de nouveau est en émoi. Où fourrer le scribe ? Dans le coffre : par bonheur il est ouvert ! Le scribe se glisse dedans, et la femme rabat le couvercle. Cette fois, c’est un visiteur original qui apparaît : un amoureux encore mais d’une catégorie spéciale. C’est un brahmine, et même en costume ! Un rire irrésistible retentit dans la salle. Le brahmine est représenté par le forçat Kochkine, qui joue admirablement. Il a bien l’allure d’un brahmine. Il explique par gestes toute l’étendue de son amour. Il lève les bras au ciel, puis porte ses mains sur sa poitrine, sur son cœur. Mais il a à peine pu manifester sa tendresse qu’un coup violent est frappé à la porte. D’après ce coup, il est clair que c’est le maître de la maison. La femme épouvantée est hors d’elle-même, le brahmine s’agite comme un dératé, et supplie qu’on le cache. À la hâte, elle le plante derrière l’armoire. Elle-même, oubliant d’aller ouvrir, se jette sur sa pelote et file, file, sans entendre à la porte les heurts de son mari ; dans son désarroi elle tord un fil qu’elle n’a pas dans la main et tourne un fuseau qu’elle n’a pas pensé à ramasser par terre. Sirotkine représenta très bien et très heureusement cette épouvante.
Mais le mari enfonce la porte d’un coup de pied et, le fouet à la main, s’avance vers sa femme. Il a tout épié et tout vu, et il lui montre du doigt qu’elle a chez elle trois hommes cachés. Il les cherche. Le premier sur lequel il tombe est le voisin, qu’il accompagne à coups de poing hors de la pièce. Le scribe tremblant de peur voudrait fuir : il soulève avec la tête le couvercle du coffre, et par là se trahit. Le mari le fouaille d’importance et cette fois l’amoureux fait un bond qui n’a rien de classique. Reste le brahmine : le mari le cherche longtemps, enfin il le découvre dans le coin derrière l’armoire, lui adresse un grand salut et le tire par la barbe vers le milieu de la scène. Le brahmine tente de se défendre, crie : "Maudit, maudit !" (les seuls mots prononcés dans la pantomime), mais le mari ne l’écoute pas et l’accommode à sa façon. La femme, voyant que son tour arrive, jette par terre le fil, le fuseau, et se sauve de la pièce ; son escabeau se renverse (1). Les forçats éclatent de rire. Ali, sans me regarder, me tiraille par la main et me crie : "Regarde, le brahmine, le brahmine !" Il ne peut se tenir droit à force de rire. Le rideau tombe. Une autre scène commence …
Mais à quoi bon les décrire toutes ? Il y en eut encore deux ou trois. Toutes étaient drôles, d’une authentique gaieté. Si les forçats ne les avaient pas imaginées, ils avaient du moins, dans chacune, mis du leur. Chaque acteur, ou presque, improvisait, si bien que les soirs suivants un seul et même interprète jouait le même rôle un peu différemment.
La dernière pantomime, du genre fantastique, se termina par un ballet. On enterrait un mort. Le brahmine, avec d’innombrables servants, se livrait sur le cercueil à diverses incantations, mais rien n’y faisait. Enfin retentit : "Le soleil est sur son déclin" : le mort revient à la vie, et tous, dans la joie, dansent. Le brahmine danse avec le mort, et danse d’une manière tout à fait spéciale, à la brahmine. Ainsi se termina la représentation, en attendant le soir suivant.
Tous les nôtres se séparent joyeux, contents, couvrent d’éloges les acteurs, remercient le sous-officier. Pas la moindre dispute. Tous sont contents, — contre leur habitude, — ils ont même l’air heureux. Ils s’endorment autrement qu’à l’accoutumée, presque avec la conscience tranquille, et, au fond, pourquoi ? Pourtant ce n’est pas un rêve de mon imagination. C’est la vérité pure. On a seulement permis à ces malheureux de vivre un peu à leur guise, de se distraire comme tout le monde, de passer une heure en oubliant le bagne ; et voici l’homme moralement transformé, ne fût-ce que pour quelques minutes seulement …
Mais voici déjà la nuit profonde. Je frissonne, et je me réveille par hasard : le vieux prie toujours sur le poêle, et il priera ainsi jusqu’à l’aube ; Ali dort paisiblement à côté de moi. Je me rappelle qu’en s’endormant il riait encore, en causant du théâtre avec ses frères, et malgré moi mon regard s’attarde sur son calme visage d’enfant. Peu à peu je me rappelle tout : la dernière journée, les fêtes, ce mois tout entier … : épouvanté, je soulève la tête, et j’embrasse du regard mes camarades endormis, à la lueur blafarde et tremblante de la chandelle de six à la livre, de l’administration. Je regarde leurs visages pâles, leurs pauvres couches, tout ce dénuement et cette misère infinie, je plonge en eux mon regard, — comme si je voulais m’assurer que tout cela n’est pas le prolongement d’un rêve monstrueux, mais la vérité vraie. C’est bien la vérité : j’entends quelqu’un gémir ; quelqu’un a lourdement déplacé son bras, et fait sonner ses fers. Un autre a tressailli dans son songe, et a parlé, tandis que le grand-père sur le poêle prie pour  "tous les chrétiens orthodoxes" : on entend son invocation régulière, paisible, lente :  "Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de nous ! …"
"Je ne suis pourtant pas ici pour toujours, mais seulement pour quelques années, n’est-ce pas !" me dis-je, et j’incline de nouveau ma tête sur l’oreiller."
Dostoïevski Récits de la Maison des morts Édition de P. Pascal p. 249 à 253

Note 1 : À la base de cette pantomime se trouve un thème folklorique bien connu : l'Index des sujets de contes de N. Andreev (Léningrad, 1929) on note une dizaine de variantes. De là dérive aussi un épisode de la Nuit de Noël de Gogol (dans les Veillées du hameau).

samedi 2 octobre 2010

Récits de la Maison des morts chapître XI : Le spectacle

"Le troisième jour de la fête (1), le soir, notre théâtre donna sa première représentation. Les démarches préliminaires, sans doute, avaient été nombreuses, mais les acteurs avaient tout pris sur eux, de sorte que nous tous, les autres, ne savions rien ; ni où les choses en étaient, ni ce qui se préparait. On ne savait même pas très bien ce qui serait représenté (2).Durant ces trois jours les acteurs, en allant au travail, tâchaient de se procurer le plus possible de costumes. Baklouchine, quand il me rencontrait, se bornait à faire claquer ses doigts de plaisir. Même le major, semblait-il, était d’humeur convenable. D’ailleurs nous ne savions absolument pas s’il était informé de notre entreprise théâtrale. S’il l’était, l’avait-il autorisée formellement, ou avait-il seulement décidé de l’ignorer, en fermant les yeux sur l’initiative des détenus et en insistant, naturellement, pour que tout se passât aussi régulièrement que possible ? Pour moi, je crois qu’il était informé : il ne pouvait pas ne pas l’être ; mais il ne voulait pas s’en mêler, dans l’idée que ce serait peut-être pis s’il interdisait : les forçats feraient des bêtises, se saouleraient, de sorte qu’il valait infiniment mieux qu’ils soient occupés à quelque chose.
D’ailleurs, c’est moi qui suppose chez le major un raisonnement de cette sorte, uniquement parce que c’est le plus naturel, le plus juste et le plus raisonnable. On peut même dire ainsi : si les détenus n’avaient pas, les jours de fête, le théâtre ou quelque occupation du même genre, ce serait à l’administration de l’inventer. Mais comme notre major se distinguait par une façon de penser absolument opposée à celle du reste de l’humanité, il est clair que je me charge d’une grande responsabilité en supposant qu’il était prévenu de notre entreprise et qu’il l’avait autorisée. Un homme comme notre major avait besoin d’avoir toujours quelqu’un à écraser, quelque chose à retirer, quelqu’un à priver d’un droit, bref de manifester quelque part son autorité. Il était connu pour cela dans toute la ville. Qu’est-ce que cela lui faisait, si ces vexations risquaient de susciter dans la prison quelque bêtise ? Pour les bêtises, il y a des châtiments (ainsi raisonnent les gens comme notre major) ; or avec ces coquins de bagnards, la sévérité et la littérale et constante observation de la loi, voilà tout ce qu’il faut ! Ces incapables observateurs de la loi ne comprennent absolument pas, et ne sont pas en état de comprendre, que la seule observation de la lettre, sans intelligence de l’esprit, conduit tout droit aux désordres, et n’a jamais conduit à rien d’autre. "C’est écrit dans la loi, que faut-il de plus ?" disent-ils, et ils s’étonnent sincèrement qu’on leur demande encore, en sus des lois, du bon sens et une tête saine. Cette dernière exigence surtout semble à beaucoup d’entre eux un luxe superflu et révoltant, une vexation, de l’intolérance.
Mais quoi qu’il en fût, le sous-officier ne fit pas opposition, et c’était tout ce qu’il fallait aux forçats. Je dirai positivement que le théâtre et le sentiment de gratitude dû au fait qu’on l’avait permis furent cause qu’il n’y eut pas, pendant les fêtes, un seul désordre sérieux : pas une rixe grave, pas un vol. J’ai été témoin moi-même de la façon dont les forçats mettaient à la raison des fêtards ou des batailleurs, sous le seul prétexte qu’on interdirait le théâtre. Le sous-officier reçut des prisonniers l’engagement que tout serait tranquille et qu’ils se conduiraient bien. Ils le donnèrent avec joie, et tinrent religieusement leur promesse : ils étaient très flattés aussi qu’on crût à leur parole.
Il faut dire d’ailleurs qu’autoriser le théâtre ne coûtait absolument rien aux autorités, aucun sacrifice. Aucun local n’était préalablement réservé : la scène était dressée et démontée tout entière en un quart d’heure. La représentation durait une heure et demie, et si un ordre supérieur était venu soudain de l’interrompre, c’était l’affaire d’un clin d’œil. Les costumes étaient serrés dans les coffres des prisonniers. Mais avant de dire comment le théâtre fut monté et quels étaient les costumes, je parlerai de l’affiche, c’est-à-dire de ce qu'on avait l'intention de jouer.
À vrai dire, d'affiche écrite, il n'y en avait pas. Pour la seconde, pour la troisième représentation, il en apparut une, cependant, écrite par Baklouchine pour MM. Les officiers et en général les visiteurs de qualité qui avaient, déjà pour la première, honoré notre théâtre de leur présence. Plus précisément : parmi les messieurs, venait d’habitude l’officier de garde, et une fois l'officier de ronde vint aussi un moment. Une fois aussi, vint l’officier du génie. Voilà pour quels visiteurs fut créée l’affiche.
On imaginait que la renommée du théâtre du bagne retentirait au loin, dans la forteresse et même dans la ville, d’autant plus que celle-ci n’avait pas de théâtre : on avait entendu dire qu’il y avait eu une fois un spectacle d’amateurs, mais rien de plus. Les forçats se réjouissaient comme des enfants du moindre succès, mieux encore ils en étaient vains. …"
Dostoïevski
Notes 1 : "Jour de la fête" : il s'agit de la fête civile de Noël, qui comportait précisément trois jours fériés
2 : D'après Tokarzewski, Dostoïevski avait pris une part très active aux préparatifs.