mercredi 13 octobre 2010

Extrait du Portrait du réalisateur Raoul Ruiz

lu dans Télérama :
Pourriez-vous m’indiquer le chemin pour la tour de Babel ?
"Mes films sont très parlés, l’image sonore comptant autant que l’image visuelle. Tout ce qui est lié aux langues et aux accents me fascine. Les Chiliens sont capables de parler des heures, sans verbe ni sujet. Leurs phrases deviennent des bruits … je suis vivement intéressé par ce cas inédit de prisonniers — un Italien, un Russe, un Anglais — dans un camp au Japon durant la Seconde Guerre mondiale, qui finissent par parler tranquillement le latin, car c’est leur seule langue commune. Imaginer les malentendus liés à leur accent me réjouit.
Il y a aussi l’"aljamia", cette langue difficile à prononcer, pratiquée par les musulmans en Andalousie. J’ai fait un film,
La Chouette aveugle, avec des Belges qui parlent l’aljamia et dans lequel j’ai ajouté toutes sortes de bruits de bouche, importés du Chili et du Sénégal. Je ne connais pas beaucoup de langues, mais j’apprends des poèmes la nuit, pour lutter contre l’insomnie et Alzheimer par la même occasion. J’aime beaucoup le provençal ou le sicilien de cour du XVIIe … Pourquoi le portugais est-il si cinématographique ? En raison de son discours implicite, de ce qui est derrière la langue, y compris le silence. En français, quand on commence à parler, on sait à peu près comment on va finir la phrase et le discours explicite est plus fort que tout. Tandis qu’en portugais ou en chilien, dire les choses frontalement est carrément obscène. De là le charme indéfinissable des acteurs portugais disant leur texte : on dirait tout le temps des chats en train de ronronner."

Génie méconnu

"C’est plutôt un avantage, de ne pas être connu. Je me souviens d’une réplique dans un film de Manoel de Oliveira, La Cassette, où un guitariste parle avec le patron d’un petit café : "J’ai 75 ans et personne ne me connaît, ce n’est pas rien." Au Chili, je suis accueilli comme une figure nationale, je ne vais pas, en plus, leur demander de voir mes films ! Un ami avait résumé cela en une lettre : "j’admire beaucoup votre travail et n’avoir rien vu de vous n’a fait qu’augmenter mon admiration." Mes films ont, malgré tout, de curieux destins. Très peu de gens, par exemple, ont vu L’île au trésor, en France. Alors qu’aux États-Unis, il est multidiffusé comme un classique sur les chaînes du câble."

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