lundi 28 septembre 2015

Le chemin jusqu'au lieu-dit du Héron

Sur le chemin vers le lieu-dit du Héron qu'ils escomptaient bien trouver tous les deux, Zébra et Phil marchaient pendant de longs moments sans parler, écoutant l'un l'autre la paix se communiquer entre eux. Une paix faite d'un vide certain, de joie sérieuse, de gravité légère. Mais quand l'intrigue du lion les reprenait, ils se mettaient à cogiter et se parlaient alors de vive voix.  L'énigmatique Lulu les ramenait-il à leurs propres limites ?

— Nous avons été gonflés tout de même de braver le lion sur ce qu'il considérait être son territoire. Étions-nous suicidaires  ? Eh bien, je ne le pense pas au fond. Il s'agit d'autre chose, déclara Zébra.


— L'attrait du ruisseau était plus fort que nous. Une fascination s'explique difficilement. Nous risquions notre peau mais nous avions l'espoir fou d'échapper à quelque chose de pire si nous ne remuions pas notre carcasse. Ma chère et vieille compagne de toujours ne m'a pas retenu, au contraire !... Mais je l'ai emportée avec moi par l'esprit et je la porte dans mon cœur, toujours. Ce n'est pas tant ton argument de l'abattoir qui m'a convaincu de partir. Au fond, c'est elle, ma vieille compagne qui m'a dissuadé de rester auprès d'elle. Nous ne devions pas nous quitter sur une note triste tu comprends. Même si de toute façon, je la garde toujours jeune dans mon esprit parce que "c'est la femme de ma vie" comme disent les humains.  C'est elle qui m'a demandé de veiller sur toi. Au début, quand j'ai appris la présence du lion, j'ai été à deux doigts d'abandonner ma mission, je t'aurais ramené avec nous dans le pré quoi qu'il en soit. Mais l'attrait de cette marche a été le plus fort... et si j'avais déçu ma vieille compagne, notre couple était mort car elle est très exigeante en amour ma compagne. Cet amour se nourrit désormais de cette mission que nous avons elle et moi de t'accompagner Zébra. Elle par la pensée, en envoyant son émissaire, l'heureux moi-même.

— C'est beau l'amour ! Je nourris le vôtre et me nourris de votre tendresse. Incroyable quand on y pense. Mais j'y crois mon cher Phil.

— Et tu n'as pas rencontré "l'homme de ta vie", toi Zébra ?  


—  J'ai bien peur que si et j'en tremble d'un bonheur inespéré. En la personne du lion Lulu j'ai trouvé... j'ai éprouvé des sensations inimaginables... je pense que c'est très fort entre nous.

Phil toussota. "je crains que.... commença-t-il  avant  que le silence ne les reprenne tous les deux, ne les enveloppe à nouveau dans une profonde paix, comme si l'esprit du ruisseau s'emparait d'eux à nouveau. Les ravissait pour les protéger.

Bientôt ils virent des hérons tournoyer au-dessus de ce qui devait être encore  le ruisseau, à quelques centaines de mètres d'où ils se trouvaient.

— Eh bien Pégase avait vu juste sur ce point. Il y a bien un lieu de rendez-vous des hérons dans la contrée. Mais si la pêche y est interdite je me demande bien pourquoi les hérons s'y retrouvent. Pour s'y reproduire peut-être ? S'y faire la cour ? Lulu... si c'est bien là qu'il se trouve, minauda Phil,  doit avoir du mal à s'y sentir chez lui. C'est un lieu très investi, et en nombre, par d'autres. Des volatiles de caractère. ☼ À forte personnalité ! À moins que ton rêve n'ait été juste qu'au sujet de la révélation de l'endroit.

À ce moment un corbeau croassa au-dessus d'eux : "Quelle mauvaise foi, Phil ! Pourquoi lui mens-tu à cet instant ? Mais dis-lui donc à ta protégée que nous avons fait connaissance pendant qu'elle dormait. Et que moi aussi, à l'instar de Pégase je t'ai indiqué l'endroit fréquenté par les hérons, où le poisson a amené Dictys avant de piquer une tête. Tu as tort, Phil,  d'avoir honte de moi, je suis un indicateur hors pair certes, mais doté d'une éthique certaine et non pas, et je tiens à le préciser,  d'une certaine éthique. Quand je livre une information, c'est pour la bonne cause. D'autres de mon espèce il est vrai ne sont pas aussi exigeants... mais...."

Phil était confus, Zébra ravie. Ainsi, son rêve avait dit vrai,  elle allait retrouver son lion, le mensonge de Phil importait  peu au regard de cette joie. L'humeur de Zébra ramena un peu de légèreté à l'ambiance que le corbeau venait de pourrir selon l'appréciation du canasson à tête de mule en lequel  l'oiseau mécontent menaçait de transformer Phil.  Le beau vieux cheval,  bon gré mal gré, laissa le corbeau se présenter après avoir  lui-même bredouillé des excuses selon un manque de diplomatie assez habituel chez lui, à moins que la malédiction n'eût commencé à opérer et ne fût revenue en boomerang sur l'oiseau :

— Ma vue baisse, corbeau, avec l'âge, et j'ai tendance à vous confondre tous, vous,  les corbeaux. Pour moi, un corbeau est un corbeau et les corbeaux sont tous les mêmes.

À quoi le volatile s'était défendu :

— C'est quelque peu raciste l'ami ! Je te croyais au-dessus de cela.  Ton cerveau est bourré de clichés ! J'ai une personnalité, ne t'en déplaise. Des collègues de "ma race" par exemple n'indiquent rien du tout, d'autres par contre se font indics en dépit du bon sens et vont jusqu'à trahir des amitiés car ils n'ont pas de ligne de conduite précise. D'autres encore cèdent au chantage parce qu'ils manquent d'adresse ou de courage. Nous avons notre personnalité pour certains d'entre nous et un manque de personnalité concernant d'autres parmi nous. Il est vrai cependant que dans l'ensemble nous sommes enclins à nous tourner vers la fonction de journaliste. Cela est écrit dans notre ADN, sans nul doute. Cela dit, mon nom est Crasscroa, je suis enchanté de vous connaître mademoiselle Zébra.

Zébra avait répondu, les yeux pleins d'étoiles.

— Crasscroa, vous vous trouvez juste sous un petit nuage que le ciel a pris au ruisseau. Vous avez un peu du ruisseau sur votre tête. Comme si vous portiez un chapeau. Signe que le ruisseau bleu nous envoie afin que nous vous acceptions parmi nous. Un ami de plus pour cette marche : nous sommes quatre désormais : le lion, Phil, vous et moi.

— Oui, enfin mademoiselle Zébra, il faut me compter double ou ne point me compter du tout, du fait que je vole. Je pourrai ainsi vous devancer de beaucoup et revenir vous informer d'éventuels dangers. Votre Lulu par exemple a besoin de secours. Après avoir subi l'attaque d'un aigle, rare dans ces parages, il n'est plus que l'ombre de lui-même.

Zébra, interdite,  ne pipa mot. Quant à Phil, pour qui c'était aussi une nouvelle cette fois, et des plus inattendues,  il s'exclama :

— "L'ombre de lui-même" comment ça ? Déjà s'efforçait-il à n'être qu'une ombre pour nous. Comment pourrait-il être l'ombre d'une ombre ?

— Je vois que sa présence vous importunait beaucoup, monsieur Phil. Parce que vous étiez aveugle. Il est évident que ce "lion" comme vous dites, vous lui avez donné trop d'une certaine importance, d'où que vous le vouliez réduire à une ombre. Je suis visionnaire en tant que corbeau qui se respecte et puis vous affirmer maintenant, à cette heure favorable, que votre lion est en réalité un simple chat de gouttière. Les plus beaux parmi les chats à mon sens. Mais chat de gouttière tout de même.

Zébra cria "Il dit n'importe quoi ce vilain ! Vous êtes indigne tout compte fait de faire partie de notre marche entre amis. Vous imaginez ma position si Lulu est réellement un chat ? En tant que souris il m'est interdit de  fréquenter un chat : erreur mortelle !  Crasscroa à la noix."
 
D'autorité le corbeau reprit :

— Je dis moi, que vous avez donné une importance malsaine à cet individu. Quand vous verrez en quel état l'a réduit l'aigle, après son attaque, vous comprendrez sa condition, son humble condition de chat. Et votre erreur.  Si les souris, il est vrai, grâce à ce remarquable Disney se sont élevées dans la considération générale qu'on a d'elles jusqu'à être anoblies par ce puissant mentor, le chat tout au contraire souffre toujours, en raison de la réputation que lui a fait ce néanmoins respectable individu, d'un certain discrédit auprès de nombreuses gens.  Nous savons ce que c'est, nous les corbeaux, de souffrir injustement de discrédit ! Je comprends, qu'en tant que souris, vous ayez intérêt à être conformiste et à éprouver du même coup du dégoût pour les chats. Mais soyez, ma chère, pour le moins un peu condescendante  et consentez  à un peu de pitié à son égard car je le répète ce chat n'est plus que l'ombre...de l'ombre de...
 
— Moi !  Une marcheuse ! et non pas une trottinneuse,  ne suis pas juste une souris justement. J'ai transcendé cette condition initiale ...
 
Zébra se rendit compte de sa fragilité car elle venait d'avoir deux attitudes très différentes à l'égard de Crasscroa : parfois elle se comportait en souris, parfois elle était plus que cela et allait sans peur à la rencontre d'un lion. Quand il s'agissait de chat... elle fondait à nouveau sous l'effet de la peur et redevenait simple souris, snob à souhait comme toutes les souris, si la narratrice peut se permettre discrètement de donner ici son avis.
 
— Je ne sais plus très bien où j'en suis admit-elle.  
 
Là-dessus les trois compères entendirent une plainte. C'était Lulu qui miaulait :

— Adoptez-moi. Je serai sage comme une image et resterai désormais dans la lumière et la chaleur de votre amitié si vous  voulez bien m'accorder cette faveur.

Les quatre ont une explication


Transie, Zébra trembla de tout son corps, la pensée comme annihilée. Puis elle leva les yeux vers le corbeau qui planait au-dessus d'eux, tandis que Phil tapait du sabot en signe de mise en garde, considérant Lulu avec une animosité difficilement contenue.

— Mes excuses Crasscoa, dit Zébra,  je vous ai insulté alors que Dieu vous envoie en cette épreuve si douloureuse pour moi afin de me soutenir. Je suis accablée. Comment ai-ju pu me tromper à  ce point concernant cet individu ? Comment ai-je pu être si aveugle ! Et toi Phil, tu ne m'as pas prévenue.

Phil, navré,  gardait la tête baissée, le chagrin de Zébra le submergeait.  D'une voix mal assurée il  déclara que lui aussi s'était mépris au sujet de Lulu, bien qu'il n'ait jamais été amoureux de lui, étant hétérosexuel et n'aimant pas les lions de par sa nature de cheval. Il se demanda alors pourquoi et comment il continuait de voir un lion en ce gros chat selon les affirmations de Crasscoa,  qui miaulait en cet instant à pierre fendre, comme pour confirmer les dires du volatile, tandis que de son côté, Zébra continuait de trembler comme une condamnée. Ainsi formula-t-il cette chose le plus délicatement qu'il le put :

—  Quel avatar chère  Zébra ! S'il ne miaulait comme un âne bâté je continuerais  d'être persuadé que nous avons là devant nous un lion et que c'est moi qui cours un danger certain en sa présence et non pas toi. Car les lions ont depuis les fables de Lafontaine généralement une empathie pour les rats et les souris dont l'un d'eux sauva un de leurs aïeux. Je suis tellement confus  en te revoyant, en un passé récent,  te tenir si près de lui.... nous avons frôlé le drame ! Mais sois sans crainte désormais, s'il t'approche je lui pulvérise le crâne. Ni une ni deux, sur le champ.

Le corbeau frôla les oreilles de Phil en poussant d'aigus croassements révoltés. De toute évidence, il avait décidé de se faire l'avocat de leur singulier  diable. Phil en réponse piaffa de colère,  s'ébroua violemment et émit des hennissements menaçants. Enfin, désemparé, il leva à son tour
 les yeux vers le corbeau, le regard maintenant  presque suppliant quoique l'on pût  y voir encore une pointe d'arrogance imputable à son caractère de cheval mal luné dès lors qu'il se cognait au mur de l'incompréhension.

—  Comment ai-je pu me fourvoyer à ce point. Tu as une explication Crasscoa ?

—  Eh bien Lulu a en effet l'aspect d'un lion, n'en déplaise à la dessinatrice qui le montre au public en tant que chat,  qu'il serait en réalité sans son handicap d'obésité. Lulu doit marcher longtemps à vos côtés pour retrouver sa forme initiale de chat ordinaire. La pêche étant interdite au Ruisseau Bleu, Dictys en a été pour ses frais, je pourvoirai à son alimentation. Il ne mangera pas Zébra... comment le pourrait-il  après la campagne justement accablante pour les chats de la Compagnie Disney ?

— Il est vrai que Disney ne les a point épargnés reprit Zébra rassérénée, chez qui l'on pouvait déjà entendre juste une petite flamme d'orgueil snob, suffisant pour la ragaillardir, dans la voix.

Lulu avait  cessé  de miauler et la considérait gravement.

— J'ai rêvé de toi l'autre nuit, dit-il, en dépit que j'en pinçais pour ton compagnon avant  l'attaque de   l'aigle. Je nous voyais sur un bateau en ascension, une attraction vers le haut. Je n'avais pas du tout envie de te manger si tu veux savoir. J'appréciais ta compagnie  au contraire. Et au petit matin l'aigle m'a attaqué à grands coups de bec. Si je n'avais pas été si gros, il m'emportait. D'où que je ne suis pas si sûr de vouloir redevenir le chat que j'étais avant. Mais Crasscoa insiste, et j'ai une dette envers lui : c'est lui qui m'a tiré des griffes de l'aigle.

— Moi aussi je t'aime en gros déclara Zébra. Si tu rapetisses, les vieux contentieux reprendront  entre nous, je le crains fort. Je ne sais plus si je crois tant que ça aux rêves finalement. Et je ne suis pas sûre non plus que la campagne du vieux Disney ait eu l'impact que tu dis auprès des chats.

Lulu décida de plaider sa cause.

— Les chats modernes ne mangent plus de souris... sauf dans les pays très reculés où on n'a pas encore apporté la civilisation.

— Si Phil et Crasscoa veillent sur nous je veux bien tenter l'aventure... cependant ne te presse pas trop de maigrir, le temps de m'habituer, de me préparer à te voir en chat.

Le corbeau opina :

— J'aime mieux ça. Le volume de Lulu n'est pas près de fondre tout de suite, tu auras le temps de vaincre petit à petit ta peur. Fais-nous confiance.

Les trois se mirent en marche, le corbeau cessa de tourner en rond et vola de l'avant, vers un poste d'où il les attendrait.    
 
 
 













 
 

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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