mardi 1 septembre 2015

Suite du chapitre de la grotte, du livre Histoire d'un ruisseau d'Élysée Reclus

 


"Cependant, ils [ les troglodytes ] devaient, eux aussi, avoir leurs moments de repos et de joie. Quand ils revenaient de la chasse ou de la bataille, ils prenaient plaisir à reconnaître le fracas du ruisseau et la plainte de la goutte qui tombe ; comme le bûcheron retrouvant sa cabane, ils regardaient avec piété ces piliers à l'ombre desquels reposaient leurs femmes et ces lits de pierre où leurs enfants étaient nés. Quant à ceux-ci, ils couraient et gambadaient le long du ruisseau souterrain, dans les lacs glacés, sous la douche des cascades ; ils jouaient à se cacher dans les corridors de la grotte comme nous aujourd'hui dans les avenues des forêts ; peut-être dans leurs prouesses joyeuses, grimpaient-ils aux parois pour y saisir les chauves-souris dans ces grappes noires et grouillantes suspendues à la voûte.

  Certes, nous n'osons point dire que de nos jours la vie est devenue moins pénible pour tous les hommes. Des multitudes d'entre nous, déshérités encore, vivent dans les égouts sortis des palais de leurs frères plus heureux ; des milliers et des milliers d'individus parmi les civilisés habitent des caves et des réduits humides, grottes artificielles bien plus insalubres que ne le sont les cavernes naturelles où se réfugiaient nos ancêtres. Mais, si nous considérons la situation dans son ensemble, il nous faut reconnaître combien grands sont les progrès accomplis. L'air, la lumière entrent dans la plupart de nos demeures ; le soleil y projette par les fenêtres ses faisceaux de rayons ;  à travers les arbres qui se penchent, nous voyons briller de loin les perles liquides du ruisseau ; l'espace appartient à notre regard jusqu'à l'immense horizon. Il est vrai, le mineur habite pendant la plus longue part de sa vie les galeries souterraines qu'il a creusées lui-même, mais ces ombres terribles d'où suinte le feu grisou ne sont point sa patrie ; s'il y travaille, sa pensée est ailleurs, là-haut sur la terre joyeuse, au bord du frais ruisseau qui gazouille dans les prairies et sous les aulnes. "

Élysée Reclus


 
Trouvée sur le site Embarquement immédiat.

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