Pour accéder au chemin de halage du pont d'Avelette il faut bifurquer à droite, de la petite route qui mène à Locon. La ruelle descend droit vers un chemin parallèle à celui du halage. Sur le côté gauche, des champs, des bosquets, mais d'abord, un parc de jeux délaissé, les manèges rouillés, certains enlevés, je n'ai pas regardé si le vieux toboggan envahi par les herbes l'été dernier était encore là. De ce délaissement s'installe une mélancolie certaine en ce lieu, pareille à celle que dégage le canal, que les autochtones n'aiment pas en général parce que s'y sont déroulées des choses angoissantes ... lieu que les suicidaires fréquentent le jour J du passage à l'acte. Il n'y a pas longtemps encore on a retrouvé un adolescent pendu à l'endroit charmant d'une jolie passerelle pourtant peinte en un rouge vermillon avenant, passerelle à laquelle le jeune homme avait trouvé moyen de s'arrimer le temps de sa pendaison.
Pourtant, derrière cette mélancolie que tout lieu abandonné dégage, je percevais beaucoup de vie. Sans doute de par l'intérêt que je porte aux plantes, mais aussi de par l'ouverture, la perspective qu'offre ce chemin de halage qui donne l'impression par sa continuité sur un terrain plat et verdoyant, de vous inviter au voyage, de projeter de vous amener jusqu'à la mer sans fatigue, de vous y porter. Les mariniers sont là aussi, présence discrète cependant, empreinte elle aussi de la mélancolie des lieux.
C'est en un endroit pareil, au pont d'Avelette où nous avions décidé de laver la voiture que je vis la personne dont je vais un peu parler ici. Nous avions commencé depuis environ dix minutes déjà le lavage de la voiture, bassines, éponges, bidons d'eau, divers produits de nettoyage posés à tout va par terre, étalés au grand jour rayonnant mais frisquet, des flaques mousseuses qui provenaient de l'eau des éponges tordues s'étaient déjà formées, quand apparut une grosse cylindrée bleu-marine, qui fit râler mon compagnon selon son tempérament. Je l'écoutai en souriant intérieurement "encore un que ça dérange, que ça étonne de voir, de la route là-haut, des gens laver leur voiture". La méthode des bidons d'eau est originale, certes un peu rétrograde ici. Mais ce qui devait être une corvée, dans ce cadre poétique, devient un moment convivial pour nous, sauf si nous avons le sentiment que ça dérange et que l'on veut nous le signifier par une mise sous pression quelconque, une arrivée inopinée et pesante par exemple.
De cette grosse caisse "à savon" à l'aspect funèbre sort une petite femme de toute évidence asiatique. D'emblée mon ami se tait, et continue d'œuvrer autour de la voiture sans plus regarder la jeune femme à qui il avait jeté un petit coup d'œil. Car sa gracieuseté pourrait éventuellement susciter de la jalousie a-t-il peut- être pensé. Mais c'était sans compter sur ma capacité à juguler ce genre de sentiment malséant, et aussi parce que, si jolie qu'elle soit la jeune personne a apparemment ce quelque chose en elle d'inexplicable, qui fait qu'elle n'inspire pas de choses négatives. Je signale à l'ami Pat en train de s'activer autour d'une tache de rouille à la carrosserie qu'il s'applique à colmater, que "c'est une Yoko Ono" et réponds ensuite à ses demandes de lui passer ceci ou cela, par une invitation à ce qu'il se serve lui-même après tout et patati patata. Car quand il s'adonne à des travaux manuels, il y met si bien tout son cœur qu'on le croirait chirurgien en train d'opérer un patient vénéré, tenu en haute considération. C'est que notre teuf-teuf, aussi, nous a rendu de grands services, ainsi un lien spécial s'est-il créé entre elle et nous. Cependant je regarde discrètement du côté de Yoko qui semble avoir l'oreille tendue vers notre conversation pragmatique tout en commençant à s'équiper lentement pour une promenade. Elle se coiffe d'une sorte de bob de laine, chapeau cloche qui lui va bien. Elle enfile ensuite une veste, et encore une parka blanche et chausse des lunettes de soleil, son côté asiate ressort toujours néanmoins ... en raison des pommettes. Quelle lenteur elle adopte tout en nous écoutant ! Je la sens me regarder d'un coup, de derrière ses verres noirs. Je lui adresse alors un sourire timide et sincère auquel elle répond sans répondre, je ne saurais dire. Toujours pas de chien que je m'attendais à la voir sortir par la portière arrière. Je suis surprise. Cette personne fluette s'apprête-t-elle vraiment à partir en promenade le long du canal, toute seule ?
Je note qu'après avoir enfilé plusieurs couches de vêtements avec une lenteur presque cérémonieuse, à l'inverse des film muets, elle a toujours l'air fluette. La voilà qui se dirige maintenant d'un pas décidé vers le chemin du halage. Encore relativement lentement cependant, si bien que ma curiosité a le temps de s'éveiller, à savoir la direction qu'elle prendra une fois parvenue sur le chemin du halage. Vers Mont-Bernanchon ou vers Béthune ? Elle se tourne résolument vers Mont-Bernanchon. Et là, hâte légèrement le pas, sans trop. Je la suis des yeux. Elle étend latéralement les bras qui se mettent à faire des petits étirements vers l'arrière, assez nerveux ma foi.
Toute seule le long de ce canal que beaucoup considèrent comme lugubre ! je croyais être l'unique individu à lui avoir trouvé une grande beauté cachée à ce canal d'Aire, aux airs abandonné. Il nous fallut une heure pour en finir avec la toilette de la voiture. Quand nous sommes repartis, l'audacieuse "Yoko" était toujours en promenade. J'ai le sentiment qu'elle doit être ceinture noire de judo car je ne me suis pas fait de souci pour elle au bout du compte.
samedi 28 mars 2015
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