dimanche 20 juin 2010

À l'écoute de Alain Fournier

En ce moment, je lis deux livres qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre : Jacques le fataliste de Diderot, que je ne croyais pas aussi cocasse à ses heures, et Le Grand Meaulnes de Alain Fournier, que je lis à voix haute à Sam ; un livre de chevet qui repose sans endormir, où sont évoqués les émotions de jeunes ados à travers leur amitié, et l’éveil à la vie sentimentale pour le Grand Meaulnes ; tout est aventure pour lui dès lors qu’il devient un brin subversif, le voilà qui s’égare dans ce qu’il lui semble être un lointain domaine sans ressentir la moindre culpabilité, au contraire, peu à peu enchanté, il finit par tomber amoureux et n’aura de cesse ensuite de retrouver le Pays perdu. Le confident de Meaulnes, le Je de cette histoire, prend part à l’aventure par confidences interposées, digne dépositaire d’une très belle histoire.
Je trouve l’écriture de ce bouquin très musicale. Vous voulez entendre ? Un tout petit extrait, là où Sam en est arrivé de son écoute :


"Le grand vent ou le froid, la pluie ou la neige, l’impossibilité où nous étions de mener à bien de longues recherches nous empêchèrent, Meaulnes et moi, de reparler du Pays perdu avant la fin de l’hiver. Nous ne pouvions rien commencer de sérieux, durant ces brèves journées de février, ces jeudis sillonnés de bourrasques, qui finissaient régulièrement vers cinq heures par une morne pluie glacée.
Rien ne nous rappelait l’aventure de Meaulnes sinon ce fait étrange que depuis l’après -midi de son retour nous n’avions plus d’amis. Aux récréations, les mêmes jeux qu’autrefois s’organisaient, mais Jasmin ne parlait plus jamais au grand Meaulnes. Les soirs, aussitôt la classe balayée, la cour se vidait comme au temps où j’étais seul, et je voyais errer mon compagnon, du jardin au hangar et de la cour à la salle à manger.
Les jeudis matin, chacun de nous installé sur le bureau d’une des deux salles de classe, nous lisions Rousseau et Paul-Louis Courier que nous avions dénichés dans les placards, entre des méthodes d’anglais et des cahiers de musique finement recopiés. L’après-midi, c’était quelque visite qui nous faisait fuir l’appartement ; et nous regagnions l’école … Nous entendions parfois des groupes de grands élèves qui s’arrêtaient un instant, comme par hasard, devant le grand portail, le heurtaient en jouant à des jeux militaires incompréhensibles et puis s’en allaient … Cette triste vie se poursuivit jusqu’à la fin du mois de février. Je commençais à croire que Meaulnes avait tout oublié, lorsqu’une aventure, plus étrange que les autres, vint me prouver que je m’étais trompé et qu’une crise violente se préparait sous la surface morne de cette vie d’hiver.
Ce fut justement un jeudi soir, vers la fin du mois, que la première nouvelle du Domaine étrange, la première vague de cette aventure dont nous ne reparlions pas arriva jusqu’à nous. Nous étions en pleine veillée. Mes grands-parents repartis, restaient seulement avec nous Millie et mon père, qui ne se doutaient nullement de la sourde fâcherie par quoi toute la classe était divisée en deux clans.
À huit heures, Millie qui avait ouvert la porte pour jeter dehors les miettes du repas fit :
« Ah ! »
D’une voix si claire que nous nous approchâmes pour regarder. Il y avait sur le seuil une couche de neige … Comme il faisait très sombre je m’avançai de quelques pas dans la cour pour voir si la couche était profonde. Je sentis des flocons légers qui me glissaient sur la figure et fondaient aussitôt. On me fit rentrer très vite et Millie ferma la porte frileusement."

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