Issue d'un milieu modeste, "les valeurs d'intimité de l'espace intérieur" m'interpellent peut-être plus fort que d'aucuns le sont en ayant joui dans leur enfance d'une chambre pour eux seuls. Car je m'aperçois que cet espace intérieur dont parle Bachelard, cette intimité, se tisse à mesure que la personne jouit d'espace de solitude abritée. Il ne s'agit pas de mettre à la porte un enfant et de le laisser seul dans la nature, sorte de jungle effrayante pour lui. Dans le propos de Bachelard, si j'ai bien compris, pour que l'enfant ait "accès à lui-même" (en ce qui serait ses premières méditations finalement), il faut qu'il se retrouve dans ce que je vois comme de la solitude abritée, un espace abrité que la personne peut faire sien. Il en va de même pour les personnes plus âgées, mais, à mon sens, plus cette expérience est précoce et plus vite l'épanouissement se produira pour une personne normalement constituée... pour des êtres comme Jésus l'éveil était inné, Bouddha quant à lui a dû fuir un château où il n'y avait pas moyen d'être suffisamment seul, pour découvrir la réalité du monde terrestre, il fit cette démarche à l'âge d'un tout jeune adulte et son espace intérieur à lui s'est vraisemblablement tissé à mesure qu'il découvrait la laideur de la maladie, de la vieillesse et de la précarité.
Un extrait de La poétique de l'espace :
"À quoi servirait-il, par exemple, de donner le plan de la chambre qui fut vraiment ma chambre, de décrire la petite chambre au fond d'un grenier, de dire que de la fenêtre, à travers l'échancrure des toits, on voit la colline. Moi seul, dans mes souvenirs d'un autre siècle, peux ouvrir le placard profond qui garde encore, pour moi seul, l'odeur unique, l'odeur des raisins qui sèchent sur la claie. L'odeur du raisin ! Odeur limite, il faut beaucoup imaginer pour la sentir. Mais j'en ai déjà trop dit. Si je disais davantage, le lecteur n'ouvrirait pas, dans sa chambre retrouvée, l'armoire unique, l'armoire à l'odeur unique, qui signe une intimité. Pour évoquer les valeurs d'intimité, il faut, paradoxalement, induire le lecteur en état de lecture suspendue. C'est au moment où les yeux du lecteur quittent le livre que l'évocation de ma chambre peut devenir un seuil d'onirisme pour autrui. Alors quand c'est un poète qui parle, l'âme du lecteur retentit, elle connaît ce retentissement qui, comme l'expose Minkowski, rend à l'être l'énergie d'une origine."
plus loin l'auteur dit : "Que de récits d'enfance — si les récits d'enfance étaient sincères — où l'on nous dirait que l'enfant, faute de chambre, s'en va bouder dans son coin !"
Gaston Bachelard La poétique de l'espace p.32
Mon commentaire : "rendre à l'être l'énergie d'une origine !" J'ai une pensée pour les enfants qui auraient dans leur chambre un ordinateur dont ils sont "addicts" comme on dit. La classe moyenne ayant pris de l'ampleur les gens fauchés sont moins nombreux en France, pour autant, si les chambres personnelles ou les coins "à soi" à priori, sont trop ouverts sur le monde via la technologie, il y a appauvrissement de cet espace ou naît l'onirisme du fait de faire sien cet espace tout en assumant et même en jouissant de la solitude.
De même pour faire sien un endroit où l'on peut s'isoler, l'enfant doit se sentir en sécurité avec les siens, sans mauvais jeu de mot.
Bachelard était aussi mathématicien. Il avait une fille qu'il a dû élever seul, sa femme étant décédée jeune. Peut-être de là lui est venu son intérêt pour la poésie qui naît de cet espace d'intimité.
Lecture enrichissante ! Merci Bachelard.
jeudi 3 décembre 2015
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