jeudi 11 février 2016

Après le génie du dessin avec Morris hier, je me frotte aujourd'hui au mathématicien Bachelard ♣ L'alchimie créée par des présences bénéfiques, et qui impacterait les lieux

Bachelard grand mathématicien.... mais que je peux rejoindre en poésie, où il est très fort également en tant que "lecteur-créateur" car de ses lectures il tire des choses merveilleuses.

Extrait de La poétique de l'espace, page 67 :

"Quand deux images singulières, œuvres de deux poètes qui mènent séparément leur rêverie, viennent à se rencontrer, il semble qu'elles se renforcent l'une l'autre. Cette convergence de deux images exceptionnelles donne, en quelque manière, un recoupement pour  l'enquête phénoménologique. L'image perd sa gratuité. Le libre jeu de l'imagination n'est plus une anarchie. De l'image de La maison d'haleine de William Goyen, rapprochons donc une image que nous avons déjà citée dans notre livre : La terre et les rêveries du repos (P.96), image que nous n'avions pas su apparenter.

Pierre Seghers* écrit :

Une maison où je vais seul en appelant
Un nom que le silence et les murs me renvoient
Une étrange maison qui se tient dans ma voix
Et qu'habite le vent.

Je l'invente, mes mains dessinent un nuage
Un bateau de grand ciel au-dessus des forêts
Une brume qui se dissipe et disparaît
Comme au jeu des images.

Pour mieux bâtir cette maison dans la brume, dans le souffle, il faudrait, dit le poète :

... Une voix plus forte de l'encens
Bleu du cœur et des mots.

Comme la maison d'haleine, la maison du souffle et de la voix est une valeur qui tremble à la limite du réel et de l'irréalité. Sans doute un esprit réaliste restera bien en deçà de cette région des tremblements. Mais celui qui lit les poèmes dans la joie d'imaginer marquera d'une pierre blanche le jour où il peut entendre sur deux registres les échos de la maison perdue."

* Pierre Seghers, Le domaine public, p.70
à l'occasion de cette note référentielle de l'œuvre de Pierre Seghers, Gaston Bachelard ajoute :
"Nous poussons plus loin la citation que nous donnions en 1948, car notre imagination de lecteur est encouragée par les rêveries que nous avons reçues du livre de William Goyen."

♣♣♣
L'alchimie, c'est ici, avec un extrait de L'ange de Sauze, de Kowka :

"Je n'oublierai jamais ce dimanche 29 septembre à Sauze aux environs de dix heures. Le cadre majestueux, mystérieux et la rencontre de cet ange. Tout venait de m'arriver en même temps, le choc esthétique du paysage, celui de mes rêves les plus secrets, le calme de l'eau seulement troublé de temps à autre par un gardon plus hardi que les autres qui sautait hors de l’eau, s’essayant ainsi un court instant à la vie aérienne. L'air charriait les parfums d'eau froide caractéristiques de la rivière, à peine atténués par les senteurs chaudes des herbes aromatiques. Cette jeune fille assise sur son rocher, comme si elle m'attendait, comme si elle m'attendait…C'est la première chose qu'elle me dit : Je t'attendais. C'était fou, je savais qu'elle allait dire ça, c'était exactement ce que je comptais lui dire moi-même si elle ne m'avait devancé.
A partir de cet instant, tout fut fusionnel. Toujours ensemble. Pensant aux mêmes choses au même moment et partageant sans cesse les mêmes pensées. Nous tombions en admiration au même moment devant la même fleur, le même papillon, le même enfant que nous croisions. Nous nous volions les mots l'un à l'autre, et nous étions émerveillés de cette symbiose de pensées partagées.
Cette idylle dura quatorze mois et encore aujourd'hui, quarante ans plus tard, elle hante toujours mes pensées. Je me souviens avec une intensité inexpliquée des merveilleux moments passés l'un à côté de l'autre. Je me souviens de tous les endroits où ensemble nous avons été. Je suis absolument certain que tous ces endroits ont gardé un souvenir de nous comme moi j'ai gardé un souvenir d'eux. Tous les endroits où nos mains se sont posées ont été par une alchimie subtile changés à notre contact, ils en sont devenus meilleurs et plus beaux."


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