"Dans l'image qu'elle présente du poète, l'école de George transpose de façon particulière le canon correspondant à la vie du demi-dieu. Comparant l'œuvre du poète à la tâche du héros, elle lui attribue ainsi une mission d'origine divine. Mais Dieu n'impose aux hommes aucune tâche, il ne leur signifie que des exigences ; devant Dieu il ne faut donc accorder à la vie du poète aucune valeur spéciale. Même du point de vue de l'écrivain, la notion de tâche est inadéquate ici. On ne peut parler d'œuvre littéraire, au sens propre du terme, que là où le langage échappe au cercle magique de la plus grande tâche à remplir. Ce n'est pas Dieu qui dicte l'œuvre d'en haut ; elle surgit des parties abyssales de l'âme, elle participe au soi le plus profond de l'homme même. La prenant au contraire pour un message divin, les membres du Cercle de George ne se contentent pas de situer le poète, dans son pays, à un niveau où il échapperait à toute critique, mais qui resterait cependant relatif : c'est à sa qualité d'homme et à sa vie, en face de Dieu, qu'ils attribuent de façon très contestable une primauté absolue, comme si l'écrivain érigé en surhomme pouvait se mesurer à Dieu. En réalité, si le poète est une manifestation de l'essence humaine antérieure au saint, ce n'est point en degré, mais en nature. L'essence du poète n'implique, en effet, qu'un rapport entre l'individu et la communauté nationale ; celle du saint traduit une relation entre l'homme et Dieu."
Walter Benjamin ESSAIS 1 sur Les affinités électives, de Gœthe
dimanche 26 avril 2015
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