lundi 13 avril 2015

Recherche du prestige ? Sport de compensation en raison d'un déclassement social ? Simple recherche d'émotions fortes ? "L'avoir grosse" ?

On voit trois jeunes adultes s'essayer à la chute libre dans la Leçon Englistown du jour... en fait, un saut en parachute. L'un des trois étudiants, au dernier moment, refuse de monter dans l'avion. Non pas qu'il ait été effrayé dira-t-il plus tard, par la perspective d'avoir à sauter dans le vide,  mais parce qu'il n'est pas un chercheur sous-entendu ici, d'émotions, et qu'il trouve ce sport inutilement dangereux. J'ai fait une recherche sur ce sport et j'ai trouvé une analyse intéressante sur le  sujet. Sous mon dessin de Zébra en parachute, les extraits, (que j'ai trouvés drôles,  chose rare de la part des sociologues) et le lien :



"Pratiquants souvent animés par la conviction éminemment virilisante qu’être parachutiste « c’est l’avoir grosse par équivalence », la prise de risque inhérente au saut en parachute leur suffit généralement à elle seule pour les conduire à se penser eux-mêmes comme membres d’une élite restreinte dans le droit-fil des représentations chevaleresques et militaristes classiques des parachutistes : « Ils sont unis par ce lien que crée cette épreuve initiatique commune qu’est la victoire sur soi-même quand il faut vaincre, dans un choix délibéré, la peur des premiers sauts. Ainsi, jadis, dans les sociétés qui se voulaient fortes ceux destinés à être des élites devaient-ils s’imposer des épreuves et en triompher »" Romain-Desfossé

Initialement envisagé et valorisé sur le mode de l’« épreuve » à la fois physique et morale en raison même de l’exposition au risque qu’il implique, le saut en parachute a ainsi subi une « idéalisation déréalisante » [5]  Au sens où l’entend Marie-José Chombart de Lauwe :... [5] qui a abouti à le présenter à la face du monde en tant qu’activité destinée à échapper à la médiocrité, à s’élever au propre comme au figuré, en même temps qu’à le définir comme une pratique héroïque permettant de s’extraire d’un monde vulgaire et « bas ». Jusqu’au milieu des années quatre-vingt, l’affinité qui s’observe entre classes populaires et parachutisme naît d’ailleurs clairement de cette possibilité de vivre une aspiration à s’élever à travers des prouesses vécues comme risquées et dignes d’une « élite restreinte » [6]  En 1982, au cepo, les ouvriers, employés et militaires... [6] . Étroitement lié à cette identification à l’« élite » – voire, parfois, à la « race supérieure » – et au retrait symbolique « hors du monde » qu’elle génère, le mépris du « prolo » enfermé dans sa condition sans volonté d’en sortir par le haut reste alors un sentiment relativement partagé par les pratiquants issus des couches populaires : « Quand je suis pendu [sous mon parachute] et que, dans le soleil couchant, je vois ces colonnes de larves dans les bouchons, eh bien je suis content d’être au-dessus, dans le calme. Je me sens supérieur à tous ces guignols du dimanche soir qui vont crever dans les embouteillages… C’est bien une mort de prolo, ça ! »

Autre extrait :


"Afin de se donner la possibilité d’échapper aux généralisations hâtives qui marquent les explications les plus courantes de la prise de risques sportifs, ou encore à ces « régressions à l’infini qui caractérisent les formes d’interprétation fondées sur le postulat d’un inconscient de type analytique » [Boltanski, 1990 : 133], une sociologie de l’engagement dans ces « actes » réputés « quasi suicidaires » et qui « fascinent d’autant plus [qu’ils] peuvent se solder par la mort » [Vigarello et Mongin, op. cit. : 71] doit sans doute renoncer à expliquer d’emblée les raisons et causes de la prise de risques sportifs par des déterminations supérieures et extérieures à la pratique elle-même (dans la « société », dans ses « crises », dans des « positions sociales », dans des « pulsions » sociologiquement explicables, etc.). Tel qu’on a pu l’observer sur un temps relativement long, la diversité des rapports au parachutisme comme la variété des positions et trajectoires sociales des pratiquants ne permettent pas de soutenir, faute de preuves sérieuses à l’appui, que « s’amuser à sauter d’un avion », « s’envoyer en l’air pour de vrai », serait individuellement ou collectivement une réponse en acte à une profonde « crise anthropologique » conçue comme typique des sociétés occidentales modernes depuis le début des années quatre-vingt [Le Breton, 1991 ; Sobry, 1987] [2]  Sur ce point, le cas particulier du parachutisme sportif... [2] . De la même manière, et bien qu’il y ait toujours quelque « prestige » à pratiquer une activité rare et relativement risquée telle que le parachutisme (au moins pour soi), rien dans les observations réalisées et les expériences personnellement vécues n’autorise à conclure que le principe majeur susceptible d’expliquer l’engouement pour ce sport à risque se situerait dans une quelconque recherche « inconsciente » de distinction posée, de surcroît, comme caractéristique de sous-groupes déclassés ou en voie de déclassement social [Pociello, 1995 : 48]. En fait, la fréquentation indigène d’un centre école de parachutisme invite à décrire quelles fonctions peut bien remplir le saut en parachute pour ses adeptes au moment précis où il s’accomplit plutôt qu’à rechercher, en amont ou en aval, les fonctions sociales de la prise de risque pour la société en général ou, plus individuellement, au titre d’activité « compensatoire » supposée agir comme une sorte d’antidote à un quelconque « déclassement »."

Autre extrait :

"Discipline sportive institutionnalisée, le parachutisme est en quelque sorte tout entier organisé pour offrir à ceux qui le pratiquent la possibilité d’éprouver une expérience émotionnelle de forte intensité dans laquelle le risque librement consenti, même statistiquement limité, fait partie intégrante d’un plaisir certain. Un plaisir qui n’est en vérité pleinement ressenti et vécu comme tel qu’une fois chaque saut achevé. Le bruit de l’avion, le souffle de l’hélice à l’embarquement, l’odeur de l’essence, la tension visible du pilote au moment délicat du décollage, les consignes données en vol par l’instructeur en criant (en raison du niveau sonore), la hauteur par rapport au sol qui augmente à chaque tour de piste, les virages serrés, l’annonce radio de l’arrivée sur le point de largage, la coupure brutale des gaz, le placement à la porte avant l’impulsion de saut, le froid en altitude… tout contribue à susciter une montée continue d’émotion, d’excitation, de tension et de peur. Une peur tellement intense qu’elle peut parfois aboutir chez les moins aguerris à un total dessaisissement de la maîtrise de soi capable de provoquer une véritable amnésie du déroulement du saut. On peut évoquer sur ce point, entre autres, le cas de cette jeune femme de vingt-deux ans qui, lors de son neuvième saut à ouverture automatique – mais après plusieurs « refus de saut » –, est restée si longtemps accrochée, complètement tétanisée, au hauban de l’aile de l’avion qu’elle commençait à compromettre la stabilité et la sécurité de l’appareil. Face à l’impossibilité de la faire rentrer dans l’habitacle (en raison de la vitesse élevée de vol), l’instructeur et le pilote se sont unis, qui à coups de poing, qui à coups de pied, pour lui faire lâcher prise. Ce qu’elle fera finalement pour heurter aussitôt de la tête le marchepied situé au-dessus du train d’atterrissage. S’étant posée par la suite sans encombre, blessée au menton dans le choc de sa sortie d’avion, elle restituera pourtant son saut avec la certitude et la fierté d’avoir effectué une « bonne sortie, pour une fois » et affichera avec un bonheur manifeste la volonté de recommencer au plus vite. Elle réalisera ainsi un autre saut dans la même journée sans que nul ne l’ait dissuadée d’imputer plus longtemps à son seul atterrissage sa blessure au visage, son hématome à la cuisse et ses quelques douleurs aux mains."

http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=ETHN_064_0625

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