jeudi 2 avril 2015

Limpides pour quelques-unes, relativement pour les autres

Voici un passage sans mots difficiles, quelques lignes dont certaines sont limpides comme une eau de roche, d'autres un peu moins  selon moi. Un passage de l'essai de Benjamin Walter sur le livre de Goethe, des Affinités électives :

"Pour lui il n'est mariage plus hautement spirituel que celui où la chute même de saurait rabaisser la moralité de ceux qu'elle affecte. Mais, en matière morale, la noblesse s'exprime dans un rapport entre personnes. Si la noble expression n'est pas conforme à ce rapport, la noblesse est sujette à caution. Cette loi, qu'il serait assurément fort erroné de déclarer valable sans limites, s'étend à tous les domaines de la moralité. S'il existe incontestablement des domaines d'expression où la validité des contenus est indépendante de qui les manifeste, si ce sont même les plus élevés de tous, la condition nécessaire qu'on a dite est inéluctable dans le domaine de la liberté au sens le plus large. Lui appartient l'empreinte individuelle de la convenance, l'empreinte individuelle de l'esprit, tout ce qu'on appelle culture. C'est ce qu'attestent surtout ceux qui se sont familiarisés avec elle. Est-ce vraiment conforme à leur situation ? La liberté voudrait moins de tergiversations, la clarté moins de silences, la décision moins de complaisances. La culture ne garde sa valeur que là où elle reste libre de s'attester. C'est bien d'ailleurs ce que montre clairement l'action.

Ses protagonistes, personnes cultivées, sont presque libres de superstitions. Si elle apparaît, ici et là, chez Eduard, c'est au début seulement, sous la forme plus aimable d'un attachement aux présages de bonheur, tandis que le caractère plus banal de Mittler, en dépit de ses attitudes suffisantes, laisse voir les traces d'une peur vraiment superstitieuse, du mauvais omen (Note en bas de page  : augure). Il est le seul qu'une crainte superstitieuse,  non pieuse, retienne de pénétrer, comme les autres, dans l'enceinte du cimetière, alors qu'il ne paraît aux amis ni scandaleux de s'y promener, ni interdit d'en modifier l'ordonnance. Sans scrupule, disons même sans égards, on transporte les pierres tombales le long du mur de l'église et l'on abandonne au pasteur, pour y semer son trèfle, le terrain aplani que traverse un sentier. Peut-on concevoir, face à la tradition, affranchissement plus caractéristique que de toucher aux tombes des ancêtres qui, sous les pas des vivants, fondent le sol non seulement du mythe mais de la religion ?  Où cette liberté conduit-elle ceux qui agissent ainsi ?  Bien loin de leur ouvrir des vues nouvelles, elle les rend aveugles devant le réel immanent à ce qu'on craint. Et cela parce qu'elle leur est inadéquate. Pour que des hommes comme ceux-là soient arrêtés devant la nature au milieu de laquelle ils vivent, il leur faudrait la rigoureuse attache à un rituel qu'on ne peut appeler superstitieuse que lorsque, détachée de son vrai contexte, elle n'est que survivance rudimentaire."

Walter Benjamin Essais 1 1922-1934

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