dimanche 29 novembre 2015

.... et avant l'action, l'imagination travaille


Bachelard avait lu Thoreau et bien d'autres, c'était un grand lecteur, de poésie notamment. Dans La poétique de l'espace  il s'agit pour Bachelard de faire une "étude phénoménologique des valeurs d'intimité de l'espace intérieur" mais dans cette parenthèse tout à fait intéressante du livre, il parle du dehors. Voici la suite de l'extrait précédemment mis en ligne :

"Dès lors, à la base même de la topo-analyse, nous avons à introduire une nuance. Nous faisions remarquer que l'inconscient est logé. Il faut ajouter que l'inconscient est bien logé, heureusement logé. Il est logé dans l'espace de son bonheur. L'inconscient normal sait partout se mettre à l'aise. La psychanalyse vient en aide à des inconscients délogés, à des inconscients brutalement ou insidieusement délogés. Mais la psychanalyse met plutôt l'être en mouvement qu'au repos. Elle appelle l'être à vivre à l'extérieur des gîtes de l'inconscient, à entrer dans les aventures de la vie, à sortir de soi. Et naturellement, son action est salutaire.  (NP salutaire, à condition que l'analyse soit juste.)  Car il faut donner un destin de dehors à l'être du dedans. Pour accompagner la psychanalyse dans cette action salutaire, il faudrait entreprendre une topo-analyse de tous les espaces qui nous appellent hors de nous-mêmes. Quoique nous centrions nos recherches sur les rêveries du repos (NP : ici le "nous" signifie '"je" : c'est Bachelard qui centre ses recherches dans ce livre sur les rêveries du repos), nous ne devons pas oublier qu'il y a une rêverie de l'homme qui marche, une rêverie du chemin.

Emmenez-moi, chemins !...  

dit Marceline  Desbordes-Valmore, en pensant à la Flandre natale (Un ruisseau de la Scarpe). 

Et quel  objet dynamique qu'un sentier ! Comme ils restent précis pour la conscience musculaire les sentiers familiers de la colline ! Un poète évoque tout ce dynamisme en un seul vers :

O mes chemins et leur cadence

(Jean Gaubère, Déserts, éd. Debresse, p.38)

Quand je revis dynamiquement le chemin qui "gravissait" la colline, je suis bien sûr que le chemin lui-même  avait des muscles, des contre-muscles. Dans ma chambre parisienne, cela m'est un bon exercice de me souvenir ainsi du chemin. En écrivant cette page, je me sens libéré de mon devoir de promenade : je suis sûr d'être sorti de chez moi.

Et l'on trouverait mille intermédiaires entre la réalité et les symboles si l'on donnait aux choses tous les mouvements qu'elles suggèrent. George Sand rêvant au bord d'un sentier au sable jaune voit couler la vie. Elle écrit :  "Qu'y a-t-il de plus beau qu'un chemin ? C'est le symbole et l'image de la vie active et variée." (Consuelo, II, p. 116.)

Chacun devrait alors dire ses routes, ses carrefours, ses bancs. Chacun devrait dresser le cadastre de ses campagnes perdues. Thoreau a, dit-il, le plan des champs inscrits dans son âme. Et Jean Wahl peut écrire :

Le moutonnement des haies
C'est en moi que je l'ai.

(Poèmes, p. 46.)

Nous couvrons ainsi l'univers de nos dessins vécus. Ces dessins n'ont pas à être exacts. Il faut seulement  qu'ils soient tonalisés sur le mode de notre espace intérieur. Mais quel livre il faudrait pour déterminer tous ces problèmes ! L'espace appelle l'action, et avant l'action l'imagination travaille."

Gaston Bachelard  La poétique de l'espace,  éd. Presse universitaires de France, p.29,30.


Aucun commentaire: