Bachelard voit les choses sous un angle positif, c'était un homme heureux. Sa vision de la rêverie évoque selon moi les méditations prônées par les bouddhistes, ayant vertu d'éveiller et aérer l'esprit. Un extrait de la Poétique de l'espace :
"Alors, face à ces solitudes, le topo-analyste interroge : La chambre était-elle grande ? Le grenier était-il encombré ? Le coin était-il chaud ? Et d'où venait la lumière ? Comment aussi, dans ces espaces, l'être connaissait-il le silence ? Comment savourait-il les silences si spéciaux des gîtes divers de la rêverie solitaire ?
Ici l'espace est tout, car le temps n'anime plus la mémoire. La mémoire — chose étrange ! — n'enregistre pas la durée concrète, la durée au sens bergsonien. On ne peut revivre les durées abolies. On ne peut que les penser, que les penser sur la ligne d'un temps abstrait privé de toute épaisseur. C'est par l'espace, c'est dans l'espace que nous trouvons les beaux fossiles de durée concrétisés par de longs séjours. L'inconscient séjourne. Les souvenirs sont immobiles, d'autant plus solides qu'ils sont mieux spatialisés. Localiser un souvenir dans le temps, n'est qu'un souci de biographe et ne correspond guère qu'à une sorte d'histoire externe, une histoire pour l'usage externe, à communiquer aux autres. Plus profonde que la biographie, l'herméneutique doit déterminer les centres de destin, en débarrassant l'histoire de son tissu temporel conjonctif sans action sur notre destin. Plus urgente que la détermination des dates est, pour la connaissance de l'intimité, la localisation dans les espaces de notre intimité.
La psychanalyse met trop souvent les passions "dans le siècle". En fait, les passions cuisent et recuisent dans la solitude. (NP : je pense qu'ici Bachelard parle de passions constructives) C'est enfermé dans sa solitude que l'être de passion prépare ses explosions (NP : je pense qu'il s'agit, connaissant un peu mieux Bachelard, d'explosions de génie, constructives) ou ses exploits.
Et tous les espaces de nos solitudes passées, les espaces où nous avons souffert de la solitude, joui de la solitude, désiré la solitude, compromis la solitude sont en nous ineffaçables. Et très précisément, l'être ne veut pas les effacer. Il sait d'instinct que ces espaces de sa solitude sont constitutifs. Même lorsque ces espaces sont à jamais rayés du présent, étrangers désormais à toutes les promesses d'avenir, même lorsqu'on n'a plus de grenier, même lorsqu'on a perdu la mansarde, il restera toujours qu'on a aimé un grenier, qu'on a vécu dans une mansarde. On y retourne dans les songes de la nuit. Ces réduits ont valeur de coquille. Et quand on va au bout des labyrinthes du sommeil, quand on touche aux régions du sommeil profond, on connaît peut-être des repos anté-humains. L'anté-humain touche ici à l'immémorial. Mais, dans la rêverie du jour elle-même, le souvenir des solitudes étroites, simples, resserrées nous sont des expériences de l'espace réconfortant, d'un espace qui ne désire pas s'étendre, mais qui voudrait surtout être encore possédé. On pouvait bien jadis trouver la mansarde trop étroite, la trouver froide l'hiver, chaude l'été. Mais maintenant, dans le souvenir retrouvé par la rêverie, on ne sait par quel syncrétisme, la mansarde est petite et grande, chaude et fraîche, toujours réconfortante."
Gaston Bachelard
vendredi 27 novembre 2015
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire