Les cafés à chats dont j'ai entendu parler ont du succès. Les clients y vont pour une séance de relaxation qu'ils se procurent en caressant le chat venu se frotter à leurs mollets, ou en regardant l'animal, aussi gracieux dans l'immobilité que dans le mouvement. La grâce du chat aurait des effets thérapeutiques. Je veux bien le croire. Hélas, sur les quatre chats de la maison, je ne pourrais en embaucher qu'un pour un éventuel travail thérapeutique dans un café à chats : Tigret, à qui tous les vétérinaires du cabinet que nous fréquentons s'accordent à donner le prix de beauté (alors que les voisins, moins attentifs à la race pure et dure des chats, l'accordent plus souvent à Yoko, ce dernier étant le plus mal coté côté vétos si j'interprète bien le peu de regard qu'ils lui accordent.) Amusante divergence d'appréciation de l'esthétique des chats selon la classe sociale si j'ose employer encore ces gros mots.
Revenons à nos moutons. Quand Orev de Provence arriva chez nous, seul Tigret fit preuve d'une certaine classe (expression vulgaire mais amusante), il s'installa sur le canapé miniature à dimension féline, face à celui, le maxi, où nous nous trouvions et nous montra ainsi son profil aux lignes sublimes, la plastique de Tigret étant parfaite il n'a pas de profil moins édifiant qu'un autre. Nous pouvions voir, dans son immobilité presque totale, n'étaient les oreilles qui frétillaient de temps à autre en signe d'assentiment, son sourire de bonze se dessiner avec la grâce d'une madone de la miséricorde, sans jamais se figer. Alors que chez les humains, un sourire qui s'éternise vire au rictus la plupart du temps.
Quant au trois autres, le récapitulatif sera vite fait pour deux d'entre eux.
Nono alla se cacher, manque de cachet ; Lulu, circonspect, sortit puis rentra un peu plus tard, avant d'aller s'enfouir à son tour quelque part dans la maison.
Yoko, le cas du siècle, se fit bruyamment remarquer, inélégant au possible : pressé de sortir, il se tenait à la porte donnant sur le patio et son gosier laissa échapper des trémolos de panique ainsi que diverses intonations modulées sur la mélopée de la supplique tandis que sa queue doublait de volume.
Trois cas qui s'expliquent par le fait que nous recevons peu de visites et que les chats aiment leurs habitudes de tranquillité, raison pour laquelle je crois que beaucoup de chats sont gérontophiles. Ils détestent l'exubérance de la jeunesse s'ils ne s'y sont pas frottés tout jeunes, et encore ! ... De ce point de vue, "le cas" était plus Tigret que Yoko.
Voyant la panique démonstrative de Yoko, nous ne l'avons pas laissé sortir de peur que son émotivité excessive ne le fasse se jeter dans la Lawe, la rivière derrière le patio, et oublier les bases de survie élémentaires, comme de nager lorsqu'on se trouve en un élément liquide, et froid comme la Lawe. Yoko finit par aller se cacher à son tour. Mais au petit matin, il se pointa à la porte, alors que notre invitée dormait encore et s'en alla tout courant à peine fut-elle entrouverte.
Il s'absenta toute la journée. Il pleuvait dans la soirée et il ne revenait toujours pas, si bien que nous avions du mal à nous concentrer sur le film que nous voulions absolument voir la veille, tiré d'un roman de Stephen King, sur la voiture diabolique qui s'empare de son passager (allégorie de la femme fatale et/ou passage raté à l'âge adulte, celui où l'on prend pleinement possession de ses moyens, où on a le choix ce faisant, d'écraser, ou pas, son adversaire. Sentiment de puissance qui écrase aussi d'une certaine façon celui qui l'éprouve, en le dénaturant totalement)... Yoko allait nous faire louper de moitié le film, quand il se pointa enfin, à dix heures du soir. L'asocial mangea comme quatre et reprit place dans la maison que notre invitée, étant appelée ailleurs, avait quittée.
À noter pour le cas Yoko : il perçoit l'ordinateur comme un adversaire, pour lui il fait office de voiture diabolique pour adolescente pouvant éventuellement se sentir investie d'un sentiment de toute puissance. Quand je m'installe à l'ordi le pantouflard Yoko s'amène immanquablement, me tapote le bras, la cuisse à petits coups de griffes bien sentis, tout miaulant sur le ton de l'outragé, enfin il vient sur mes genoux, se met en rond et veille sur sa protégée en ange gardien. Il manque de confiance aux autres ce faisant mais est très sûr de lui. Soupçonnant un éventuel snobisme chez lui, en tant que chat rejeté des vétos, je pense qu'il n'aimerait pas que je dise de lui qu'il est un "sacré chat", mais apprécierait "chat sacré". Compte tenu qu'il veille sur moi tant qu'il ne se sent pas lui-même en danger je relativise... en ce moment je le considère tout ronronnant sur mes genoux, sourire satisfait. Je dirais plutôt qu'il a beaucoup de présence ce chat, si imparfait soit-il.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire