dimanche 5 juin 2016
Le fennec (renard des sables)
J'ai lu attentivement un poème sur le fennec, de Daniel Martinez. Dans ce texte il observe l'animal avec recul, face à la nature qui offre ici un spectacle de "cruauté naturelle" : un petit animal finit broyé dans la gueule du fennec.
Pour le poète, inutile de crier à la cruauté car nous tolérons tant de prédateurs qui utilisent la culture pour sauver les apparences.
C'est sûrement vrai mais les choses sont plus complexes à mon sens concernant la culture. Des incultes peuvent tout autant se comporter cruellement et l'on voit nombre d'incultes faire preuve de beaucoup de cruauté. L'inculture ou la culture utilisée en tant que vernis, cela revient au même.
Cet après-midi, après environ cinq mois ou un peu plus à ne pas manger de viande, j'ai cru bon d'avaler une tranche de jambon par simple trouille, pour remédier à un étourdissement dû à une chute de tension. Quelque part, tout mangeur de viande se comporterait en fennec, ou presque, et ce dernier après tout ne fait que se nourrir.
Le fennec, en ne faisant que s'alimenter par instinct de survie, n'est pas cruel. Par contre pour moi, qui suis informée de la souffrance animale et qui ai quand même mangé la tranche de jambon... la question de la cruauté vis-à-vis du cochon me semble plus évidente. Mon niveau de conscience étant plus élevé que celui du fennec, je suis éventuellement cruelle vis-vis de l'animal à la peau rose bonbon, et pas lui.
La nature, ce sont des forces en présence, et des besoins de survie en présence, et c'est toujours la loi du plus fort. La culture si elle permet de remettre en question ces "rapports naturels" — qui semblent en certaines circonstances "dénaturés" car l'un mange l'autre, le fort mange le moins fort, — doit aller bien au-delà d'un simple vernis et se doit surtout de ne pas en être un. Celui ou celle qui l'utilise comme vernis est naïf dans sa cruauté.
Le poème :
Du sable, la tête qui dépasse
marquée de grands yeux sombres ;
fixe, le regard, au-delà du feu blanc
descendu des fibres de la nuit
sous le fléau de l'invisible perspective
lui, Fennec, jamais ne semble
souffrir du Soleil
qui frappe pierres et sol
et vrille le bleu intense.
De ce côté, dans l'espace mort de la parole
il sait profiter de la plus petite ombre
que chérit l'épineux. Un écart des paupières,
il est là, se tapit comme un lièvre
le menton enfoui presque
un murmure, un petit cri
un sifflement qu'est-ce ? :
d'étranges sonorités dont la trame
ne forme pas ancrage
mais nomme la fissure de la roche, là.
Moustaches fines
époussetant le hasard
fourrure et poussière,
un trou dans le jour aveugle :
son terrier, vrai labyrinthe
d'où sort le museau noir,
un verbe de mouvement.
D'un coup, l'échine qui se fige
avant que de se déployer
s'il chasse pour son compte la gerboise
projetant les griffes
et le cri, un jappement aigu :
puis l'étreinte mortelle de la mâchoire
pour foudroyer la proie élue.
La victime alors, dépecée longuement.
Figures multiples de la nature,
qui se moque bien de nos sentiments
quand elle est, une fois le décor planté
un rappel des temps anciens
sous nos yeux jugeant cruel le prédateur
alors même que nous en tolérons
sans cesse par le monde,
sous le vernis de la culture
les apparences sauves.
Daniel Martinez
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