mardi 12 janvier 2016

La question de la surveillance, traitée par la Vie des Idées

Extrait :

"La Vie des Idées : En comparant, sous cet angle, l’histoire de l’URSS et des pays socialistes avec l’histoire de la France, que peut-on dire des différences entre dictatures et démocraties ?


Sophie Cœuré :

 Il y a deux différences majeures. D’une part, les objectifs. Dans la France républicaine, les administrations spécialisées dans le renseignement intérieur ou extérieur surveillent des individus, en fonction de crimes ou d’infraction déjà commises (de la prostituée à l’assassin), ou parce qu’ils sont identifiés comme potentiellement dangereux pour l’ordre public et la sûreté du territoire. La surveillance peut être collective et viser, par exemple dans l’entre-deux-guerres, des partis politiques d’extrême gauche ou d’extrême droite, des militants anticolonialistes, des réfugiés italiens, allemands, espagnols, des espions soviétiques ou nazis, etc.
Toutefois, la surveillance n’est jamais déterminée par la catégorisation a priori d’un groupe, mais par l’identification d’un péril précis, et elle peut donc être abandonnée à tout moment. La seule population à être surveillée systématiquement en France est celle des « nomades ». La loi de 1912 crée un « carnet anthropométrique » obligatoire dès 13 ans. En 1969, la loi est abrogée, mais les nomades, devenus « gens du voyage », ont continué à être soumis à un statut particulier : leur « titre de circulation » n’a été supprimé qu’en juin 2015.
En URSS, en revanche, pour des raisons qui tiennent à la fois au projet de construction d’une société communiste et à des raisons plus conjoncturelles liées à la guerre civile et à l’évolution stalinienne, les administrations de surveillance, comme la Tchéka créée dès décembre 1917, sont d’un type inédit [3]. Il s’agit d’épurer la société des éléments « contre-révolutionnaires ». Ceux-ci sont définis par leurs actes (réels ou fabriqués par l’accusation), mais aussi – et c’est là une différence essentielle – par leur appartenance a priori à une catégorie : enfants de nobles ou de popes, « koulaks » (paysans riches), « peuples punis » pendant la Seconde Guerre mondiale pour leur complicité potentielle avec l’Axe, comme les Tatars de Crimée.
Tous deviennent des cibles pour une surveillance qui, de fait, finit par viser tout le monde et recourir non seulement à des administrations spécialisées, mais aussi à des réseaux d’agents et de délateurs très étendus. Le paroxysme sera atteint par la Stasi en RDA"

Intégral : http://www.laviedesidees.fr/Aux-origines-de-la-surveillance-de-masse.html

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