vendredi 29 janvier 2016

L'extrait

Maison et univers, chapitre IV page 55 et suivantes, du livre intitulé Poétique de l'espace de Gaston  Bachelard :

[...]"donnons l'exemple d'une positivité d'adhésion totale au drame de la maison attaquée par la tempête.

La maison de Malicroix s'appelle La Redousse (Henri Bosco, Malicroix, P. 105 et suiv.) Elle est construite sur une île de la Camargue, non loin du fleuve mugissant. Elle est humble. Elle paraît faible. On va voir son courage.

L'écrivain prépare la tempête en de longues pages. Une météorologie poétique va aux sources d'où naîtront le mouvement et le bruit. Avec quel art l'écrivain touche d'abord l'absolu du silence, l'immensité des espaces du silence !

"Rien ne suggère comme le silence le sentiment des espaces illimités. J'entrai dans ces espaces. Les bruits colorent l'étendue et lui donnent une sorte de corps sonore. Leur absence la laisse toute pure et c'est la sensation du vaste, du profond, de l'illimité qui nous saisit dans le silence. Elle m'envahit et je fus, pendant quelques minutes, confondu à cette grandeur de la paix nocturne.
"Elle s'imposait comme un être.
"La paix avait un corps. Pris dans la nuit, fait avec de la nuit. Un corps réel, un corps immobile."

Dans ce vaste poème en prose viennent alors des pages qui ont le même progrès de rumeurs et de craintes que les stances des Djinns chez Victor Hugo. Mais ici, l'écrivain se donne le temps de montrer le resserrement de l'espace au centre duquel la maison vivra comme un cœur angoissé. Une sorte d'angoisse cosmique préside à la tempête. Puis, toutes les gorges du vent se détendent. Bientôt, tous les animaux de l'ouragan donnent de la voix. Quel bestiaire du vent on pourrait établir si on avait le loisir, non seulement dans les pages que nous invoquons, mais dans toute l'œuvre de Henri Bosco, d'analyser la dynamologie des tempêtes! L'écrivain sait d'instinct que toutes les agressions, qu'elles viennent de l'homme ou du monde, sont animales. Si subtiles que soit une agression venant de l'homme, si indirecte, si camouflée, si construite qu'elle soit, elle révèle des origines inexpiées. Un petit filament animal vit dans la plus petite des haines. Le poète psychologue —  ou le psychologue poète, s'il en existe — ne peut se tromper en marquant d'un cri animal les différents types d'agressions. Et c'est aussi une des marques terribles de l'homme que de ne comprendre intuitivement les forces de l'univers que par une psychologie du courroux.

Et la maison contre cette meute qui, peu à peu, se déchaîne devient le véritable être d'une humanité pure, l'être qui se défend sans jamais avoir la responsabilité d'attaquer. La Redousse est la Résistance de l'homme. Elle est valeur humaine, grandeur de l'homme.

Voici la page centrale de la résistance humaine de la maison au centre de la tempête (p.115)

" La maison luttait bravement. Elle se plaignit tout d'abord ; les pires souffles l'attaquèrent de tous les côtés à la fois, avec une haine distincte et de tels hurlements de rage que, par moments, je frissonnais de peur. Mais elle tint. Dès le début de la tempête des vents hargneux avaient pris le toit à partie. On essaya de l'arracher, de lui casser les reins, de le mettre en lambeaux, de l'aspirer. Mais il bomba le dos et s'accrocha à la vieille charpente. Alors d'autres vents arrivèrent et se ruant au ras du sol ils foncèrent contre les murailles. Tout fléchit sous le choc impétueux, mais la maison flexible, ayant plié, résista à la bête. Elle tenait sans doute au sol de l'île par des racines incassables, d'où ses minces parois de roseaux crépis et de planches tenaient une force surnaturelle. On eut beau insulter les volets et les portes, prononcer des menaces colossales, claironner dans la cheminée, l'être déjà humain, où j'abritais mon corps, ne céda rien à la tempête. La maison se serra contre moi, comme une louve, et par moments je sentais son odeur descendre maternellement jusque dans mon cœur. Ce fut, cette nuit-là, vraiment ma mère.

"Je n'eus qu'elle pour me garder et me soutenir. Nous étions seuls."

En parlant de la maternité de la maison dans notre livre : La terre et les rêveries du repos, nous avions cité ces deux vers immenses de Milosz où s'unissent les images de la mère et de la maison :

Je dis ma Mère. Et c'est à vous que je pense, ô maison !
Maison des beaux étés obscurs de mon enfance.
(Mélancolie.) 
C'est une semblable image qui s'impose à la reconnaissance émue de l'habitant de La Redousse. Mais ici, l'image ne vient pas de la nostalgie d'une enfance. Elle est donnée dans son actualité de protection."

Suite de cet extrait demain.

Mon commentaire : on n'est pas juste dans le symbolisme ici. Il y a quelque chose de mystique. On pense en effet aux démons ou Djinns que Bachelard englobe dans le mot animalité.


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