Il s'intitule Suite fraternelle
Je me souviens de toi Gilles mon frère oublié dans la terre de Sicile je me souviens d'un matin d'été à Montréal je suivais ton cercueil vide j'avais dix ans et je ne savais encore
Ils disent que tu es mort pour l'Honneur ils disent et flattent leur bedaine flasque ils disent que tu es mort pour la Paix ils disent et sucent leur cigare long comme un fusil
Maintenant je sais que tu es mort avec une petite bête froide dans la gorge avec une sale peur aux tripes j'entends toujours tes vingt ans qui plient dans les herbes crissantes de juillet
Et nous nous demeurons pareils à nous-mêmes, rauques comme la rengaine de nos misères
Nous
les bâtards sans nom
les déracinés d'aucune terre
les boutonneux sans âge
les demi-révoltés confortables
les clochards nantis
les tapettes de la grande tuerie
les entretenus de la Saint-Jean-Baptiste
Gilles mon frère cadet par la mort ô Gilles dont le sang épouse la poussière
Suaires et sueurs nous sommes délavés de grésil et de peur
La petitesse nous habille de gourmandises flottantes
Nous
les croisés criards du Nord
nous qui râlons de fièvre blanche sous la tente de la Transfiguration
nos amours ombreuses ne font jamais que des orphelins
nous sommes dans notre corps comme dans un hôtel
nous murmurons une laurentie pleine de cormorans châtrés
nous léchons le silence d'une papille rêche
et les bottes du remords
Nous
les seuls nègres aux belles certitudes blanches
ô caravelles et grands appareillages des enfants-messie
nous les sauvages cravatés
nous attendons depuis trois siècles pêle-mêle
la revanche de l'histoire
la fée de l'occident
la fonte des glaciers
Je n'oublie pas Gilles et j'ai encore dans mes mots la cassure
par où tu coulas un jour de fleurs et de ferraille
Non ne reviens pas Gilles en ce village perdu dans les neiges de la Terre Promise
Ne reviens pas dans ce pays où les eaux de la tendresse tournent vite en glace
Où circule toujours la jongleuse qui hérissait ton enfance
Il n'y a pas d'espace ici pour tes gestes rassembleurs de vérités sauvages
Tu es de là-bas maintenant tu es étranger à ton peuple
Dors Gilles dors tout ton sommeil d'homme retourné au ventre de l'oubli
A nous les mensonges et l'asphalte quotidienne
A nous la peur pauvresse que farfouille le goinfre du ridicule
Pirates de nos désirs nous longeons la côte de quelque Labrador fabuleux
Loin très loin de ta Sicile brûlante et plus loin encore de nos plus secrètes brûlures
Et voici que tu meurs Gilles éparpillé au fond d'un trou mêlé aux morceaux de tes camarades Gilles toujours violenté dans ton pays Gilles sans cesse tourmenté dans ton peuple comme un idiot de village
Et perdure la patrie comme l'amour du père haï pays de pâleur suspecte pays de rage rentrée pays bourré d'ouate et de silence pays de faces tordues et tendues sur des mains osseuses comme une peau d'éventail délicate et morte pays hérissé d'arêtes et de lois coupantes pays bourrelé de ventres coupables pays d'attente lisse et froide comme le verglas sur le dos de la plaine pays de mort anonyme pays d'horreur grassouillette pays de cigales de cristaux de briques d'épinette de grêle de fourrure de fièvres de torpeur pays qui s'ennuie du peau-rouge illimité
Cloaques et marais puants où nous coltinons le mauvais sort
.......
Jacques Brault
Voilà, j'ai tapé à partir du début mais le poème est long et loin d'être fini. Je le ressens comme sincère, vérité de quelqu'un à un moment donné de sa vie. Il ne respire pas la joie cependant mais l'auteur ne pense pas à la chercher, d'instinct il ne force rien et... s'épure de ces ressentis qui le submergent. Accepter ?.... non justement il refuse d'où sa colère. Il choisit d'affronter la tristesse d'avoir perdu ce frère martyrisé, et de libérer sa colère. Tout passe. Je pense que ce frère de l'innocence lui reviendra un jour... plus heureux.
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