mercredi 11 février 2015

Le regard de Féval sur le colonel Bozzo et Lecocq

Nous savons que Féval, parce qu'il le dit lui-même, s'est inspiré  de Vidocq pour le personnage de Lecocq (surnommé "L'Amitié" par les intimes, si on peut parler d'intimes), quant au colonel Bozzo — colonel est un titre ou grade que Bozzo son personnage s'est lui-même donné — il  est le chef de la pègre Corse  imaginé par Féval. C'est frappant que l'auteur les décrive tous les deux comme d'incroyables comédiens, capables du pire sous des dehors plus que policés, parfois débonnaires, bon enfant, frisant même la naïveté (admirablement bien jouée). Dans L'Arme Invisible, le dernier roman que comprend l'énorme pavé  trouvé à la bibliothèque municipale, voici un passage où ces traits de caractère percent en filigrane du dialogue. Le colonel Bozzo, avec une marquise tout ce qu'il y a de plus légitime et légitimiste,  vient de jouer de façon plus débonnaire que jamais les intermédiaires pour favoriser les fiançailles d'un jeune juge d'instruction, avec Valentine dont il est  follement amoureux. Il quitte juste la marquise en question  quand il rencontre Lecocq, pour la dernière mise au point  de l'assassinat de ce même juge. Cela, afin de sauver son association de malfaiteurs sur laquelle  le juge menait une enquête qui allait bientôt aboutir, où il découvrirait que son vieillard d'ami, le colonel Bozzo, est le chef de la pègre. L'extrait (rencontre de Lecocq et du colonel Bozzo)  :


— Eh bien ! fit-il après l'avoir respectueusement salué, tout va-t-il comme vous voulez, papa ?


— Tu sais, répondit  le vieillard d'un air fat, je suis né coiffé, j'ai une chance de possédé et de la corde de pendu dans toutes mes poches. Nous allons encore gagner cette partie-là, haut la main, et ce sera ma dernière affaire.

— Dans cinquante ans, papa, répliqua Lecocq, nous parlerons de votre retraite. Ne me gardez pas rancune pour un mot ; les vrais maîtres de billard sont ceux qui jouent bien et qui réussissent par-dessus le marché. Voilà qu'il se fait plus de minuit, avez-vous des ordres à me donner ?

— Après moi, l'Amitié, répondit le colonel en s'appuyant familièrement sur son épaule, tu es celui qui fait le plus de carambolages ; aussi tu me succèderas, je l'ai promis, je l'ai juré, je te le signerai quand tu voudras. J'ai oublié de te demander qui tu avais choisi pour soigner le flagrant délit du numéro six.

— Je me suis choisi moi-même, patron, répondit Lecocq ; quand il s'agit de vous seconder, je ne m'en fie qu'à moi. Je vais de ce pas me mettre au lit, ici près, dans ma chambre, au troisième étage du numéro six, porte à porte avec M. Chopin, le professeur de musique, qui a une voix à réveiller tout le quartier. Comptez sur moi, au premier cri de M. Chopin toute la maison sera debout.

Le colonel lui prit la main et la serra.

— Mon bon chéri, lui dit-il avec émotion, tu ne sers pas un ingrat, et quand le moment sera venu, tu verras bien si ton vieux maître t'aimait d'une tendresse sincère.

Ils se séparèrent et Lecocq quitta l'hôtel d'Ornans en se disant :

— Si on ne connaissait pas le vieux vampire, il serait capable de vous faire voir des étoiles en plein midi !

Paul Féval, extrait de l'arme invisible

L'arme invisible, il me semble avoir écrit un texte jadis qui s'intitulait ainsi. Nougaro aurait pensé à larmes invisibles et aurait joué là-dessus. Si la victime en réchappait pourrait-elle verser des larmes, même invisibles ?   un tel débordement de cruauté étant propre à assécher le cœur de la  plus tendre victime.  Consolation, écoutez-moi le dialogue du saxo et du violencelle, ici :

https://www.youtube.com/watch?v=NcFM4UdFGMc#t=25
 
 

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