mercredi 18 mai 2016

L'enfer


L'expérience de la nuit blanche : n'ai dormi qu'une heure cette nuit à cause de pensées parasites. Pas évident de s'en débarrasser tout seul quand elles transforment, le temps du malaise, votre centre d'être en lieu d'errance. Expérience d'une forme de pauvreté qui n'a pas à voir avec l'argent. Je me suis tournée d'instinct vers un autrui enrichissant pour m'en sortir, sortir du moi errant de ce mauvais moment, le temps de le rendre de nouveau habitable et  si possible accueillant. Bachelard, encore lui,  me fait prendre une conscience plus aigüe de ce centre d'être,  il en parle en effet dans les quelques pages sur la dialectique du dehors et du dedans que je lis en ce moment. Ces prises de conscience font prendre un coup de  vraie maturité tout à fait bienvenue. Ne pas mourir idiot, voire  intelligent...  pour ma part, je prends.  Mais Bachelard parle aussi d'un état, où le sujet se trouve  tout à fait en enfer.  Thème bel et bien abordé par l'audacieux, qui est passé pour ce faire par un poème de Michaux, qu'il commente à merveille selon moi,  pour le plus grand enrichissement de qui voudra bien le lire.

L'extrait : 

Dans un poème en prose : L'espace aux ombres, Henri Michaux écrit (1)

"L'espace, mais vous ne pouvez concevoir, cet horrible en dedans - en dehors qu'est le vrai espace.

Certaines (ombres) surtout se bandant une dernière fois, font un effort désespéré pour "être dans leur seule unité". Mal leur en prend. J'en rencontrai une.

Détruite par châtiment, elle n'était plus qu'un bruit, mais énorme.

Un monde immense l'entendait encore, mais elle n'était plus, devenue seulement et uniquement un bruit, qui allait rouler encore des siècles mais destiné à s'éteindre complètement, comme si elle n'avait jamais été."  

Henri Michaux, Nouvelles de l'étranger, éd. Mercure de France, 1952, p.91.

Prenons toute la leçon philosophique que nous donne le poète. De quoi s'agit-il dans une telle page ? D'une âme qui a perdu son "être-là", d'une âme qui  va jusqu'à déchoir de l'être de son ombre pour passer, comme un vain bruit, comme une rumeur insituable dans les on-dit de l'être. Elle fut ? Ne fut-elle que le bruit qu'elle est devenue ? Son châtiment n'est-il pas de n'être plus que l'écho du bruit vain, inutile, qu'elle fut ? N'était-elle pas naguère ce qu'elle est maintenant : une sonorité des voûtes de l'enfer ? Elle est condamnée à répéter le mot de sa mauvaise intention, un mot qui, inscrit dans l'être, a bouleversé l'être. Car l'être de Henri Michaux est un être coupable, coupable d'être. Et nous sommes en enfer, et une part de nous est toujours en enfer, murés que nous sommes dans le monde des mauvaises intentions.

Gaston Bachelard, page 195-196

Mon commentaire :

Des pages qui remettent les idées en place, non ? Le sens de la mesure et de la relativité des choses revient instantanément à la lecture de ces mots, l'ego se tait et la conscience est là, présence du "je" qui s'ouvre en quelque sorte. La suite de cet extrait demain.  




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