vendredi 15 avril 2016

Bachelard face à la miniature.... c'est géant ! ♣♣ Et puis


Je me suis levée cette nuit, non pas pour manger, ça c'était il y a longtemps, maintenant que j'aborde les 69 kg à la balance de la maison, (qui est plus indulgente de deux kg que celle du médecin), encouragée par la dite balance, je me tiens à certaines règles pour le repos du système digestif. Je me suis levée car je m'ennuyais de Bachelard. Et bien m'en a pris, car j'ai lu par exemple cette page sur la miniature.

Avant de la mettre en ligne, je note qu'un éléphant grandeur nature m'émerveille, mais qu'un félin en miniature, comme le chat, miniature du tigre, je préfère. Il doit bien y avoir une raison à cela, mais il n'y a pas que cela... c'est aussi et encore une question de cosmicité et de respiration. Bachelard en parle si bien.

L'extrait :

"La miniature est un exercice de fraîcheur métaphysique ; elle permet de mondifier à petits risques. Et que de repos dans un tel exercice de monde dominé ! La miniature repose sans jamais endormir. L'imagination y est vigilante et heureuse.

Mais pour nous livrer en bonne conscience à  cette métaphysique miniaturée, nous avons besoin de multiplier les appuis et de collectionner quelques textes. Nous aurions peur sans cela, en avouant notre goût pour la miniature, de renforcer le diagnostic que Mme Favez-Boutonier nous indiquait au seuil de notre bonne et vieille amitié il y a un quart de siècle : vos hallucinations lilliputiennes sont caractéristiques de l'alcoolisme.

Les textes sont nombreux où la prairie est une forêt, où une touffe d'herbe est un bosquet. Dans un roman de Thomas Hardy, une poignée de mousse est un bois de sapins. Dans un roman aux passions fines et multiples : Niels Lyne, J.-P Jacobsen décrivant la forêt du bonheur : les feuilles d'automne, les cormiers ployant sous "le poids des grappes rouges"  achève son tableau par "la mousse vigoureuse et drue qui ressemblait à des sapins, à des palmes". Et "il y avait encore la mousse légère qui revêtait les troncs d'arbre et faisait songer aux champs de blé des elfes" (trad.p.255). Qu'un auteur dont la tâche est de suivre un drame humain à grande intensité comme c'est le cas pour Jacobsen, interrompe le récit de la passion  pour "écrire cette miniature", voilà un paradoxe qu'on devrait élucider  si l'on voulait prendre une mesure exacte des intérêts littéraires. À vivre d'un peu près le texte, il semble que quelque chose d'humain s'affine en cet effort de voir cette forêt fine emboîtée dans la forêt des grands arbres. D'une forêt à l'autre, de la forêt en diastole à la forêt en systole, une cosmicité respire. Paradoxalement, il semble qu'en vivant dans la miniature on vienne se détendre dans un petit espace.

C'est là une des mille rêveries qui nous mettent hors du monde, qui nous mettent dans un autre monde et le romancier en a eu besoin pour nous transporter dans cet au-delà du monde qu'est le monde d'un amour nouveau. Les gens pressés par les affaires n'y entrent pas. Le lecteur d'un livre qui suit les ondulations d'une grande passion peut s'étonner de cette interruption par la cosmicité. Il ne lit guère le livre que linéairement  en suivant le fil des événements humains. Pour lui, les événements n'ont pas besoin de tableau. Mais de combien de rêveries nous prive la lecture linéaire !

De telles rêveries sont des appels à la verticalité. Elles sont des pauses de récit durant lesquelles le lecteur est appelé à rêver. Elles sont très pures car elles ne servent à rien. Il faut les distinguer de cette coutume du conte où un nain se cache derrière une laitue pour tendre des pièges au héros, comme c'est le cas dans Le nain jaune     de Mme d'Aulnoy. La poésie cosmique est indépendante des intrigues du conte pour enfant. Elle réclame, dans les exemples que nous citons, une participation à un végétalisme vraiment intime, à un végétalisme qui échappe à la torpeur à laquelle le condamnait la philosophie bergsonienne. En effet, par l'adhésion aux forces miniaturées, le monde végétal est grand dans le petit, vif dans la douceur, tout vivant dans son acte vert." 

P. 151, 152 La poétique de l'espace Gaston Bachelard, Presses Universitaires de France

♣♣♣

"Si tu es sage, tu auras des images" chante Reggiani dans la chanson "Et puis" : https://www.youtube.com/watch?v=gEs5fcOfnBw

Aucun commentaire: