mercredi 6 avril 2016

Les premiers botanistes chrétiens ♣♣ écoute du jour via la musique


Je pense que Bachelard devait écrire sur la phénoménologie des images, avant tout pour se délasser de sa pratique assidue des mathématiques. Il délasse son lecteur par ricochet. J'ai trouvé drôle sur le coup Bachelard dans son observation des premiers botanistes catholiques.  Mais pas d'ironie chez lui quand il relève une attitude singulière de la part de son homme à la loupe,  dont on pourrait éventuellement se gausser par distraction ; lui,  continue d'avancer dans son étude à la fois sérieuse et émerveillée de la phénoménologie des images... il se délasse et s'émerveille seulement un peu plus au passage lorsqu'il observe le côté quelque peu naïf et "imprudent" du botaniste devant sa miniature. Nous  sommes au chapitre de la Miniature, où nous avons déjà étudié la Pomme de Cyrano de Bergerac, voici les premiers botanistes Chrétiens face à leurs miniatures. L'extrait :


"Comme deuxième exemple de miniature littéraire valorisée, nous allons suivre la rêverie d'un botaniste. L'âme botanique se complaît dans cette miniature d'être qu'est une fleur. Le botaniste utilise ingénument  les mots correspondant à des choses de grandeur courante pour décrire l'intimité florale. On peut lire dans le Dictionnaire de botanique chrétienne, qui est un volumineux tome de la Nouvelle encyclopédie théologique, éditée en 1851, à l'article Epiaire, cette description de la fleur du stachys d'Allemagne :

" Ces fleurs élevées dans des berceaux de coton, sont petites, délicates, couleur de rose et blanches... J'enlève  le petit calice avec ce réseau de longue soie qui le recouvre... La lèvre inférieure de la fleur est droite et un peu recourbée ; elle est d'un rose vif intérieurement et couverte à l'extérieur d'une fourrure épaisse. Toute cette plante échauffe lorsqu'on y touche. Elle a un petit costume bien hyperboréen. Les quatre petites étamines sont comme des petites brosses jaunes."

  Jusqu'ici le texte peut passer pour objectif. Mais il ne tarde pas à se psychologiser. Progressivement, une rêverie accompagne la description : 

"Les quatre étamines se tiennent droite et en fort bonne intelligence dans l'espèce de petite niche que forme la lèvre inférieure. Elles sont là bien chaudement dans de petites casemates bien matelassées. Le petit pistil est respectueusement à leurs pieds, mais comme sa taille est fort petite, il faut pour lui parler qu'à leur tour elles plient les genoux. Les petites femmes ont bien de l'importance ; et celles dont le ton  paraît le plus humble ont souvent une conduite bien absolue dans leur ménage. Les quatre semences nues restent au fond du calice et s'y élèvent, comme aux Indes les enfants se bercent dans un hamac. Chaque étamine reconnaît son ouvrage et la jalousie ne peut exister."

Ainsi, dans la fleur, le savant botaniste a trouvé la miniature d'une vie conjugale, il a senti la douce chaleur gardée par une fourrure, il a vu le hamac qui berce la graine. De l'harmonie des formes, il a conclu au bien-être de la demeure. Faut-il souligner que, comme dans le texte de Cyrano, la douce chaleur des régions enfermées est le premier indice  d'une intimité ? Cette intimité chaude est la racine de toutes les images. Les images — on le voit de reste — ne correspondent plus à une réalité. Sous la loupe, on pouvait encore reconnaître la petite brosse jaune des étamines, mais aucun observateur ne saurait voir le moindre élément réel pour justifier les images psychologiques accumulées par le narrateur de la Botanique chrétienne. Il est à penser que s'il s'était agi d'un objet de dimension courante, le narrateur eût été plus prudent. Mais il est entré dans une miniature et aussitôt les images se sont mises à foisonner, à grandir, à s'évader. Le grand sort du petit, non pas par la loi logique d'une dialectique  des contraires, mais grâce à la libération de toutes les obligations des dimensions, libération qui est la caractéristique même de l'activité d'imagination. A l'article Pervenche  dans le même dictionnaire de  botanique chrétienne, on lit : "Lecteur, étudiez la pervenche en détail, vous verrez combien le détail grandit les objets."

En deux lignes, l'homme à la loupe exprime une grande loi psychologique. Il nous place à un point sensible de l'objectivité, au moment où il faut accueillir le détail inaperçu et le dominer. La loupe conditionne, dans cette expérience, une entrée dans le monde. L'homme à la loupe n'est pas ici le vieillard qui veut, contre des yeux las de voir, lire encore son journal. L'homme à la loupe prend le Monde comme une nouveauté. S'il nous faisait confidence de ses découvertes vécues, il nous donnerait des documents de phénoménologie pure, où la découverte du monde, où l'entrée dans le monde, serait plus qu'un mot usé, plus qu'un mot terni par son usage philosophique si fréquent. Souvent, le philosophe décrit phénoménologiquement son "entrée dans le monde", son "être dans le monde" sous le signe d'un objet familier Il décrit phénoménologiquement son encrier. Un pauvre objet est alors le concierge du vaste monde. 

L'homme à la loupe barre — bien simplement — le monde familier. Il est regard frais devant objet neuf. La loupe du botaniste c'est l'enfance retrouvée. Elle redonne au botaniste le  regard agrandissant de l'enfant. Avec elle, il entre au jardin, dans le jardin

où les enfants regardent grand *

Ainsi le minuscule, porte étroite s'il en est, ouvre un monde. Le détail d'une chose peut être le signe d'un monde nouveau, d'un monde qui comme tous les mondes, contient les attributs de la grandeur.

La miniature est un des gîtes de la grandeur.

Gaston Bachelard, La poétique de l'espace, page 146

* P. De Boissy, Main première, p.21. 


 Mon commentaire : et je note que l'homme à la loupe stimule activement la mémorisation des élèves en botanique, tout en leur faisant intégrer par la magie de l'imagination (image, magie)  le fonctionnement de la reproduction des plantes à graines. Bon pédagogue. 

♣♣♣

Recueillement pour toutes les victimes des attentats, parmi les victimes je compte aussi les suicidaires qui "suicident les autres" en se suicidant :

https://www.youtube.com/watch?v=fcWo1hKHu40
 


     

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